mercredi 29 octobre 2014

[Critique] Le Désert des Tartares, de Valerio Zurlini (1976)

Réalisateur : Valerio Zurlini 

Scénariste : André-Georges Brunelin
D'après : "Le Désert des Tartares" de Dino Buzzati

Acteurs : Jacques Perrin, Max Von Sydow, Helmut Griem (et bien d'autres)

Directeur de la photographie :
Luciano Tovoli

Compositeur : Ennio Morricone

Monteurs : Franco Arcalli, Raimondo Crociani

Genres : Drame, historique, guerre

Nationalité : Italie, France, Allemagne

Durée : 2h20  Date de sortie : 1976

Titre original : Il deserto dei Tartari

Synopsis : An 1900 aux confins d'un empire de l'Europe Centrale. Le jeune lieutenant Drogo vient de sortir de l'école militaire et se voit affecter à la forteresse de Bastiano, poste avancé de l'Empire aux bords d'une immense étendue aride : le désert des Tartares. 

"SOUDAIN, LE VIDE"

Le Désert des Tartares serait-il un film tombé du ciel ? Une œuvre unique, fils prodigue de toute la grâce des productions franco-italiennes des années 70 ? Il faut le voir pour le croire. Ultime fruit d'un réalisateur que le temps a hélas oublié, sans aucun doute à tort lorsque l'on assiste à un tel spectacle, Le Désert des Tartares est l'histoire d'un film absolu sur le vide, cette paix artificielle à laquelle les hommes sont parfois à la recherche, jusqu'à même leur perte. A l'issu d'un éreintant séjour dans ce désert et sa forteresse perdue où "Dieu lui-même ne pourrait y vivre", durant deux heures vingt grandioses, on ressort avec un poids bien singulier, si caractéristique de cette sensation d'avoir découvert un immense chef-d’œuvre.

De l'art de tout dire sans n'avoir rien montré, et tout montré sans n'avoir rien dit, voilà à quoi s'emploie Valerio Zurlini dans son adaptation du livre de Buzzati. On flotte dans un Empire rempli d'ennui et de vain, aux hommes carrés mais transparents. Dans la première séquence du film, nous invitant à la rencontre du jeune lieutenant Drogo, le personnage de Jacques Perrin, Zurlini nous confronte avant tout à une image forte : son uniforme, dont le vide intérieur est occupé par un blême mannequin. On ne sait vraiment où résident les gens, ou ne serait-ce qu'un peu de vie dans cet Empire au nom jamais mentionné, identifiable tout au mieux grâce à quelques bannières ou couleurs.

Quelque part, c'est incroyable de rendre aussi fascinante la défense d'un Empire trouble sur une "frontière morte" comme le souligne lui-même Francesco Rabal, perdue dans les montagnes face à un adversaire dont on doute même de l'existence. C'est dire les sujets qu'aborde Le Désert des Tartares. A travers les yeux du lieutenant Drogo, on partage la vie de garnison au sein de la forteresse de Bastiano, dans la réalité la forteresse de Bam, en Iran, véritable fleur du désert érigée au milieu de nulle part (et malheureusement détruire lors d'un séisme en 2003). Avec un tel décor, impossible pour Zurlini et son chef-opérateur Luciano Tovoli de rater l’atmosphère de leur film, devenant presque un modèle d'ambiance. On repense à l'isolement antonionien ou une encore forme de huis-clos des grands espaces, un western à la fois sinistre et poétique, comme le rappelle la discrète mais somptueuse partition d'Ennio Morricone.

A la manière de David Lean et de son Lawrence d'Arabie, dont la majestuosité des plans du Désert des Tartares semble s'inspirer, Zurlini fait de cette forteresse, de ces plaines et montagnes arides un personnage à part entière du film. On s'y perd non sans fascination, alors que les années passent dans le fort et vampirisent l'âme et l'espoir des hommes en quête de gloire, ou tout du moins en quête de quelque chose. "Le jour où il se passera quelque chose à Bastiano, lieutenant... Mieux vaut que nous soyons peu nombreux" fait remarquer le capitaine Ortiz, campé par Max Von Sydow, à Jacques Perrin. L'attente et l'ennui épuisent les hommes jusqu'à la folie, jusqu'au renoncement de l'humanité, alors que la conduite et la logique militaire sont remis en question par le film. Un point d'orgue semble atteint lors d'une confrontation avec Philippe Noiret, paroxysme de l'absurde de la situation du film.

Avec une justesse et une subtilité dans l’ellipse hors-du-commun, Zurlini  fait flétrir ses personnages dans la forteresse à tel point qu'ils se fondent avec les murs, ceci condamnant quelque part leur sort : on laisse sa vie à Bastiano. Seul personnage passablement censé et pourtant cloitré dans un isolement presque douteux, le médecin interprété par Jean-Louis Trintignant, passant ses journées à passer au microscope l'argile et la pierre des murs, comme s'il était à la recherche du secret du vampirisme du fort qui dévore les hommes et leurs âmes. Au mess des officiers, simulacre de zone de détente, on croise éventuellement le fantomatique commandant de la forteresse, caché derrière les traits hypnotisants de Vittorio Gassman, quand ça n'est pas tout le gratin des officiers confortablement attablés mais n'ayant vraisemblablement plus rien à se dire. Tout le luxe impérial importé de l'Europe occidentale et implanté artificiellement au sein de la forteresse finit presque par conférer au film une double-identité visuelle, avec cet Empire qui n'est pas encore rentré dans le XXème siècle.

Lors d'une séquence dans les hautes montagnes enneigée de cette terre inconnue, à travers les périples d'un petit contingent détaché de la forteresse pour un motif fumant et une fois de plus vain, on se rend compte de l'ampleur quasiment fantastique du Désert des Tartares. La mort vient chercher les hommes à travers des concepts de noblesse ou d'absurdité qui nous dépassent. Le sentiment d'étrangeté fantastique est par ailleurs d'autant plus renforcé par la célèbre tradition italienne de la post-synchronisation des voix, doublés en Français dans cette version, donnant dans les échanges verbaux une distanciation curieuse mais bienvenue. Cela va par ailleurs de pair avec une économie impressionnante du mot qui rend plus percutante chaque phrase.

Aucun doute sur le fait que l'on soit susceptible de trouver ici peut-être le plus grand rôle de Jacques Perrin, à la métamorphose détonante et prouvant une fois de plus son grand talent parmi tout l'actorat français de son temps. La figure pouponne qui a fait sa gloire se voit elle-même absorbée par le néant, alors qu'autour de lui gravite un casting au prestige inimitable. Outre les noms déjà cités au-dessus, on pensera également à Laurent Terzieff, Fernando Rey, Helmut Griem et Giulianno Gemma... Autant de noms qui apportent le coup de pinceau final au chef-d’œuvre.

"Choisir, c'est renoncer" disait André Gide, phrase qui trouve dans Le Désert des Tartares une illustration fascinante, à travers le destin de ces hommes qui ont fini par véritablement choisir la forteresse de Bastiano et ce qu'elle implique. Pour quoi ? Pour la gloire ? Pour l'emporter avec soi, comme le disait Errol Flynn dans La Charge fantastique ? On se le demande jusqu'à cette fin incroyable, trouble et sacralisant une dernière fois le film au rang d’œuvre unique. Quand on sait d'ailleurs que le précédent film de Valerio Zurlini, Le Professeur, s'appelait en Italien La prima notte di quiete, soit "la première nuit de tranquillité", le dernier plan du Désert des Tartares atteint des sommets de grandeur mystique et apparaît comme sans aucun doute la plus belle conclusion de carrière que puisse convoiter un metteur en scène.

Incroyable. Bienvenue dans mon top 10.

A noter l'exceptionnelle restauration effectuée par Pathé pour le blu-ray, que je recommande fortement tant l'expérience de visionnage devient absolue et intense.

Fiche Cinelounge


samedi 25 octobre 2014

[Avis en vrac] Magic in the Moonlight (2014), Le Sixième Sens (1986), Le Solitaire (1981), Stalag 17 (1953), La Tempête qui tue (1940), Valdez (1971), Le Chasseur (2011), Attaque au Cheyenne Club (1970) et Les Fantastiques années vingt (1939)

AU CINÉMA


http://www.circlecinema.com/wp-content/uploads/2014/06/Magic-in-the-moon-light-poster.jpgMagic in the Moonlight, de Woody Allen (2014)

A ma plus grand surprise, et pour mon plus grand plaisir, Magic in the Moonlight est un fin millésime représentatif du meilleur de ce qu'est capable Woody Allen dans sa période moderne. On retrouve une énième fois, non sans plaisir cela dit, le personnage de Woody Allen derrière les traits de Colin Firth, mais au service ici d'une réelle histoire, d'intérêts qui frappent grâce à un enthousiasme et une beauté qui se dégage de l'image. Beauté qui évidemment trouve son reflet dans Emma Stone, qui prouve une fois de plus que Woody Allen sait filmer les belles jeunes femmes.

L'univers fantasmé par Allen est malin et capte tout l'intérêt du spectateur, à la fois concentré sur le magnétisme d'Emma Stone mais également à la recherche de la solution des fameux tours de passe-passe. Dans sa démarche de scénario, Allen se joue intelligemment de nous, tel un génie cynique. Génie d'ailleurs auquel il ne manque pas de se comparer à travers le personnage de Colin Firth : une sorte de prétention agréable et cocasse quand on connaît l'auteur. Savourable de bout en bout, et comme souvent, porté par une direction d'acteur d'une grande finesse.

A noter également la photo incroyable de Darius Khondji, toujours très tamisée en intérieur avec ces sources de lumière à l'intérieur de l'image, peut-être une des plus belles photographie dans un film (couleur, tout du moins) de Woody Allen.



EN VIDÉO

http://obxe.files.wordpress.com/2013/04/manhunter-poster.jpg
Le Sixième Sens, de Michael Mann (1986)

Revisionnage.

A l'occasion de la sortie prochaine de Black Hat, j'escomptais entreprendre une petite rétrospective Michael Mann. Après avoir revu plusieurs de ses films dont le fabuleux et sous-estimé Ali il y a quelques temps, je voulais me replonger dans ses années 80 si uniques et matricielles. Il y a bien des années que je n'avais pas vu Manhunter. Aucun doute : non seulement tout le cinéma de Michael Mann est contenu dans Manhunter, mais il s'agit en plus d'une adaptation remarquable, sachant que je tiens déjà en très haute estime l'excellent livre de Thomas Harris, Dragon Rouge.

C'est intriguant la manière avec laquelle Michael Mann ne se perd jamais d'un film à l'autre, et commence d'emblée avec ce qui caractérise son cinéma : c'est l'histoire d'un type qui va faire son boulot. Sculpteur d'une image à la fois curieusement léchée et sobre, dans ces grands décors candides et douteux, Mann tise l'un des films d'ambiance les plus précieux des années 80. Réponse incroyable au grand Los Angeles Police Fédérale (à propos duquel je soupçonne Friedkin d'avoir pillé la série Miami Vice du même Michael Mann), Manhunter est un immanquable de son auteur, qui est après tout l'un des meilleurs cinéastes américains contemporains. Rien que ça.

Je n'étoffe pas davantage, afin de garder autant que possible de matière pour des critiques plus étayées quand je ferais la rétrospective Michael Mann (du moins, si j'ai le temps !).

Fiche Cinelounge


Le Solitaire, de Michael Mann (1981)

Revisionnage.

Première incursion de Michael Mann dans la fiction de cinéma, après s'être expérimenté et perfectionné dans le documentaire et le téléfilm, Le Solitaire préfigure aisément les trois prochaines décennies de la carrière de son auteur. Peu de réalisateurs peuvent se vanter d'avoir des débuts aussi programmatiques. Ici, aucun doute, tout y est : de ces ambiances nocturnes ésotériques de Los Angeles soulignées par la bande-son fabuleuse (l'une de leurs meilleures) de Tangerine Dream (et quelque part cela préfigure également Elliot Goldenthal sur Heat) à cette histoire d'un type qui, encore une fois, fait son boulot. Ceci tout en conservant d'ailleurs le fin parallèle, très cher à Michael Mann, avec la vie intime.

Si les amateurs de Drive de Nicolas Winding Refn peuvent évidemment y trouver ici tout le modèle du cinéaste danois, les amateurs de Michael Mann trouveront le film qui fait, peut-être plus que jamais, le plus explicitement du moins, la connection avec ses influences. Par-là cette direction d'acteur scorsesienne, ailleurs ces ralentis montés en cut façon Sam Peckinpah, et évidemment ce héros de la ville taciturne, descendant du Samouraï de Jean-Pierre Melville. Comment ne pas accoucher d'un grand film ?

Comme pour Manhunter, j'en garde un peu pour la critique quand je ferai la rétro Michael Mann.

Fiche Cinelounge


http://2.bp.blogspot.com/-9fLGyWbfsAw/Ujrcjg23FdI/AAAAAAAAAXY/4iSWsvM-_RE/s1600/stalag-171.jpgStalag 17, de Billy Wilder (1953)

Le film de stalag, c'est vraiment un genre à part entière très grisant. Ce qui fait la différence sur Stalag 17, c'est notamment les talents d'écriture si fins et modernes de Billy Wilder. La manière avec laquelle il millimètre ses personnages et les dialogues dans la comédie (même si Stalag 17 est plus que cela) empêche tout superflu, toute perte des enjeux ou de l'efficacité du film.

Tout ceci est à la fois très juste et très drôle. Même si on peut tout de même se demander quelques fois si la lourdeur du personnage de Preminger (c'est quand même génial de le faire jouer par Preminger) est nécessaire, on se ravise après quelques gags hilarants (les bottes au téléphone). L'ambiance parfois bon enfant de l'ensemble rappelle évidemment Papa Schultz avant l'heure, tout en mesurant l'esprit afin que rien ne soit profondément déplacé ou facile, gardant un semblant de sérieux dans le traitement du film de stalag. En prime, un William Holden au cynisme délicieux, que du bonheur.

Fiche Cinelounge


La Tempête qui tue, de Frank Borzage (1940)

Mon premier Borzage, il était temps. Derrière cet abominable traduction française se cache un mélodrame américain (à une époque où les États-Unis ne sont pas encore en guerre) d'une actualité terrifiante sur son époque. Même si le sujet a été rabâché plein de fois depuis, la montée du nazisme reste tout de même un sujet fascinant et infini, surtout quand il est traité avec autant d'intelligence et de pureté que le fait Borzage. Les apparences manichéennes sont contrastées par un contexte décrit avec une certaine justesse. Le film ne cède pas à la facilité de condamner, mais constate simplement, avec effroi, un grand pays sombrer dans l'ombre.

L'idée de placer l'intrigue dans la campagne montagneuse et enneigée de la Bavière, évidemment berceau du national-socialisme, fonctionne remarquablement bien et confère au film une identité authentique et unique dans son univers, jusqu'à même pouvoir mettre en scène une très belle poursuite en ski. Les personnages sont caractérisés avec toute la beauté du genre mélo des années 40, certains pris dans d'affreux dilemmes, d'autres moins, et un James Stewart qui fait évidemment toujours plaisir à voir.

Fiche Cinelounge


Valdez, d'Edwin Sherin (1971)

Valdez m'a mis une petite claque que je n'ai pas vu venir. Je ne m'attendais pas à un western de vengeance aussi sec et extrême, orienté Nouvel Hollywood, violent comme un Robert Aldrich (je pense en particulier à Fureur Apache). C'est encore l'un de ces westerns où l'on ne peut pas faire plus simple dans l'histoire : le héros se retrouve confronté à son enjeu dès les premières minutes et jusqu'à la fin du film c'est ce qui va le motiver, sans jamais s'en détourner.

Voir une figure que l'on aime, aussi iconique que Burt Lancaster, se faire humilier est toujours quelque chose de terrible, surtout dans le western, impitoyable à ce sujet-là. Non content de simplement se prendre des coups de feu à côté des oreilles, il finit par trainer lamentablement une croix dans le désert, une des pires humiliations que j'ai vues dans un western américain depuis notamment Ceux de Cordura, qui trainait Gary Cooper plus bas que terre. Le segment consacré à la vengeance atteint des dimensions absolument incroyables, Valdez tuant tel une machine ou menaçant les vivants, "Valdez is coming" dit-il lui-même. La métamorphose du héros est d'autant plus impressionnante quand on voit le point de départ de Valdez, ce Lancaster cassé et traité comme un moins que rien de métèque. Tout ceci jusqu'à un dénouement absolument incroyable que je n'ai pas vu venir non plus. Puissant.

Fiche Cinelounge


Le Chasseur, de Daniel Nettheim (2011)

Un DTV extrêmement plaisant, car bien que sans surprises, Le Chasseur offre exactement ce que l'on est venu chercher, avec de la générosité et de la maîtrise en sus. Pas de place pour l'ennui, les enjeux sont expédiés le plus rapidement possible pour faire place au plus important : voir le charismatique Willem Dafoe crapahuter dans la forêt en prédateur. A ce sujet-là, le réalisateur tient vraiment bien le "personnage" sylvestre et fait du Chasseur un film à la beauté bienvenue.

Dommage que le dernier tiers se perde peut-être dans son rythme, avec ces incursions de scénario qui paralysent peut-être la pureté de l'ensemble, mais rien n'est profondément raté et au-delà même du domaine forestier, les séquences de vie dans ces endroits perdus de l'Australie passent vraiment bien. Sobre, beau et plutôt direct, avec un Sam Neill en prime, mais que demande le peuple ?

Fiche Cinelounge


Attaque au Cheyenne Club, de Gene Kelly (1970)

Un western réalisé par Gene Kelly, c'est plutôt cocasse non ? Grosso modo c'est l'histoire du western classique, représenté par James Stewart et Henry Fonda, qui rencontre la mode dévergondée typique des années 70. C'est à la fois osé sans trop l'être, car Gene Kelly ne montre pas grand chose en fait, la déprave se joue au niveau de dialogues parfois assez drôles tant ils tournent autour du pot pour décrire ce que l'on ne veut pas montrer. Du coup l'ensemble se suit de manière plutôt plaisante, un sourire aux lèvres.

Cela dit, le problème est que c'est plutôt vieillot. On est en 1970 et Gene Kelly, qui pourtant parle d'univers dévergondé, semble mettre en scène son western comme un classique des années 50, ce qui n'est pas toujours très emballant. Et si j'ai trouvé Henry Fonda plutôt agréable derrière ses airs nunuches, j'ai été sceptique face au cabotinage de James Stewart (qui est un acteur que pourtant j'adule !). Rien de profondément déplaisant mais rien de bien ambitieux non plus, si ce n'est la joie de profiter de toute une flopée de jolies filles aux vêtements parfois légers.

Reste une fin où je n'ai pas forcément saisi où Gene Kelly voulait en venir, à croire qu'il n'est pas allé au bout de son idée de confrontation des univers, dommage.

Fiche Cinelounge


Les Fantastiques années vingt
de Raoul Walsh (1939)

Désormais aucun doute sur le fait que Martin Scorsese se soit dit que sa remarquable série, Boardwalk Empire, serait ni plus ni moins que la descendance de The Roaring Twenties (quel titre, quel époque !). Énième grand film signé Raoul Walsh, on ne peut être qu'emballé par la radicalité du discours et son efficacité moderne à tous les niveaux. D'une transition à l'autre, les idées de montage pullulent et l'atmosphère de l'époque se fait ressentir comme jamais, avec au passage quelques emprunts au Scarface d'Howard Hawks, à grands coups de Tommy Gun.

Le charisme implacable de James Cagney rivalise sans difficultés avec Bogart, grâce à un personnage terriblement bien écrit. A ce propos, tout le prologue pendant la première guerre mondiale est fort bien pensé et sert complètement les personnages, avec cette habitude de l'arme et de la violence que désormais les américains ramènent dans les grandes villes, comme le souligne le personnage de Bogey, disant qu'il va ramener son fusil au pays. Le détail qui en dit long sur la force incisive du film.

Schéma classique de l’ascension et de la chute n'empêchant pourtant aucunement un grand film, se concluant de la manière la plus forte qui soit, belle et terrible à la fois. "He used to be a big shot" est une réplique qui marque.

Fiche Cinelounge

jeudi 23 octobre 2014

[Critique] Fury, de David Ayer (2014)



Réalisateur : David Ayer

Scénariste : David Ayer

Acteurs : Brad Pitt, Shia LaBeouf, Logan Lerman

Directeur de la photographie : Roman Vasyanov

Compositeur : Steven Price

Monteurs : Jay Cassidy et Dody Dorn
 
Genre : Guerre

Nationalité : Royaume-Uni, Etats-Unis 

Durée : 2h14

Année de sortie : 2014



Synopsis : Avril 1945. Les Alliés mènent leur ultime offensive en Europe. À bord d’un tank Sherman, le sergent Wardaddy et ses quatre hommes s’engagent dans une mission à très haut risque bien au-delà des lignes ennemies. Face à un adversaire dont le nombre et la puissance de feu les dépassent, Wardaddy et son équipage vont devoir tout tenter pour frapper l’Allemagne nazie en plein cœur… 

SAM PECKINPAH'S FURY

On fait rarement le rapprochement, mais il faut bien se dire que ces dernières années, un bon film de guerre est encore plus rare qu'un bon western. C'est dire ! En soit le projet de David Ayer a tout pour plaire, un concept plutôt original porté par un réalisateur qui a de bonnes idées et le casting qu'il faut. On pouvait éventuellement se montrer sceptique après le calamiteux Sabotage, dont on imputera tout de même l'échec au scénariste Skip Woods, qui avait déjà exposé ses "talents" sur le dernier Die Hard. Écoutille verrouillée et moteur diesel rugissant, lançons-nous à bord du fameux tank Sherman dans un périple à travers les horreurs de la guerre.

"Das Boot dans un tank", voilà ce que Fury m'évoquait dans un premier temps. Et pour cause, le film d'Ayer hérite beaucoup du chef-d’œuvre de Wolfgang Petersen, notamment dans la manière toute simple mais efficace de faire découvrir un univers mécanique inédit à travers les yeux d'un bleuet s'initiant au quotidien des tankistes. A l'instar de Petersen et son U-Boot, très vite, on se rend compte qu'Ayer sait filmer son blindé. Peut-être l'aurait-on encore souhaité encore plus monstrueux, à la manière de Duel, mais aucun doute sur le fait qu'il existe à l'écran comme un personnage à part entière, un organisme mécanique dédié à cracher les flammes de l'Enfer.

Dans toute sa première partie, Fury s'évertue à caractériser finement les personnages de l'équipage et plus généralement le comportement du soldat américain. Le formatage des mentalités et l'industrialisation extrême de la guerre semble d'ailleurs être d'autant plus d'actualité. Ainsi, la violence psychologique de Fury n'a pas peur de s'exposer, au point de transfigurer le personnage de Brad Pitt en patriarche tankiste autant moral qu'amoral, un mélange au résultat ambigüe et plaisant autant que dérangeant. Ceci couplé à la violence physique très sèche du film, peut-être inaperçue dans le genre du film de guerre depuis John Rambo, et rappelant parfois évidemment le film de Spielberg, Il faut sauver le soldat Ryan. L'héritage de Sam Peckinpah n'est jamais bien loin, et est peut-être résumé par l'image atroce de ce cadavre écrasé par un tank et disparaissant à jamais dans la boue, citation explicite de Croix de Fer.

On observe tout de même un rythme assez brinquebalant. Pourtant, en soit, rien est à jeter dans ce qui est montré, Fury ne se perd pas dans des emphases superflues, mais curieusement le rythme parait peu maitrisé alors que l'on s'intéresse vraiment à ce qu'il se passe à l'écran, un paradoxe particulier. Le problème atteint une sorte de paroxysme dans une scène centrale chez des civiles, explorant davantage la caractérisation des personnages mais ruinant le rythme du film. On repense presque à la scène des colons français dans Apocalypse Now Redux. La seconde partie de Fury en porte les stigmates et semble moins efficace, voire laisse parfois des doutes sur le discours d'Ayer. La fin apparaît presque comme une facilité bien trop anticipée, hélas.

Cela dit, si je me permets de faire la fine bouche sur certains détails du film d'Ayer, c'est parce qu'il a tout de même le potentiel d'être à plus d'une reprise un film de guerre remarquable et percutant. La caméra  d'Ayer, relativement sobre d'ailleurs, fait mouche et capte à merveille l'univers dans une esthétique froide, nuancée parfois par des teintes surréalistes bienvenues, de l'usage des balles traçantes à ce final semblant se dérouler dans les abîmes de l'Enfer. L'ambiance est d'autant plus relevée par certaines compositions dissonantes et puissantes à l'influence mécanique ou industrielle de Steven Price. Cependant, on retrouve tout de même les défauts du compositeurs de Gravity dans d'autres musiques qui deviennent brouillonnes ou alors au mélo-dramatisme automatisé. Au tableau des défauts, pour en finir, on notera éventuellement un format cinémascope qui n'est pas du tout adapté au sujet, même si David Ayer s'en sort avec les honneurs dans sa captation de l'intérieur du blindé.

Pendant le tournage du film, on avait tout entendu au sujet de Shia LaBeouf, qui avait vraisemblablement pété un plomb dans sa plongée dans le personnage, allant parait-il jusqu'à s'arracher lui-même une dent. Si l'on peut, sans doute à juste titre, remettre en cause l'intelligence de la démarche, nul doute en revanche que LaBeouf s'intègre parfaitement à l'univers du film et forme un duo remarquable avec Brad Pitt, ce dernier tenant d'ailleurs encore un rôle ambigüe déconstruisant finement son image de jadis. De manière générale, le casting fait complètement corps avec la machine de guerre Fury.

Malgré les défauts, autant ne pas bouder son plaisir et déclarer "pari réussi" pour David Ayer qui a fait un authentique film de guerre à l'héritage noble, en tenant son concept sans trop en faire. Alors que la perspective d'un film autour d'un blindé semble alléchante, il faut semblerait-il remonter jusqu'en 1988 : La Bête de guerre de Kevin Reynolds. Pour du duel de blindés pendant la seconde guerre mondiale, on pourrait presque remonter jusqu'en 1970 avec De l'or pour les braves de Brian G. Hutton qui offrait lui aussi un affrontement Sherman versus Tigre plutôt cocasse, cela dit. Quoi qu'il en soit, il faut admettre que le genre revient de loin et que Fury écrase littéralement les vaines tentatives de film de guerre de ces dernières années.

Il ne me reste plus qu'à conclure sur une citation de Croix de Fer de Sam Peckinpah :
"- Que ferons-nous lorsque nous aurons perdu la guerre ?
 - Se préparer pour la suivante."


dimanche 19 octobre 2014

[Avis en vrac] Le Sel de la Terre (2014), Balade entre les tombes (2014), Ninja Turtles (2014), Trapèze (1956), San Antonio (1945), Mary Reilly (1996) et World War Z (2013)

AU CINÉMA


Le Sel de la Terre, de Wim Wenders Juliano Ribeiro Salgado (2014)

Un peu honteusement, je confesse que c'est mon premier film de Wim Wenders. Je ne dirais pas pour autant que je regrette de commencer sa carrière par là car j'en suis sorti bouleversé. C'est un documentaire d'une véracité exceptionnelle, où l'on sent que le cinéma peut définitivement toucher la vie.

De Salgado je ne connaissais que quelques clichés. J'y ai découvert un artiste impressionnant au regard inimitable, quelqu'un qui donne envie de parcourir le monde même si c'est au risque (inéluctable) d'y trouver des horreurs. L'oeil du photographe n'est cela dit jamais complaisant, jamais putassier, se contentant toujours de capter un moment de vie (ou de mort) dans un contexte fort qui insuffle un esprit à la photographie. L'amour des hommes de Salgado transpire dans chaque cliché, et quand celui-ci arrive à bouts, quand les horreurs sont trop nombreuses, son revirement vers un regard beaucoup plus panthéiste apporte une nuance qui m'émeut beaucoup. Malgré tout ce qui est décrit, le salut existe quelque part.

Derrière la caméra de Wenders, qui partage d'ailleurs la réalisation avec le fils du photographe, le voyage est saisissant. Le dialogue de l'interview est percutant et ce Français ponctué d'un accent sud-américain exulte encore plus le côté poète de Salgado. Je repensais à la poésie percutante à l'accent prononcé de Werner Hezog dans le grandiose La Grotte des rêves perdus. Certainement un immense film dont on ressort soufflé, grâce à ce regard qui voit à travers la terre et les hommes. On se demanderait presque si le côté sanctuaire de l'image d'un cinéma n'est pas le plus beau moyen d'apprécier une photographie, sur un écran plusieurs mètres. 

Dans le top de l'année, assurément !


Balade entre les tombes, de Scott Frank (2014)

Un énième thriller avec Liam Neeson qui défile devant nos yeux et s'oublie immédiatement après. Tout est très classique, convenu et prévisible, sans pour autant que l'ensemble soit profondément mauvais. La mise en scène est tout de même plutôt posée et sobre, même l'écriture, bien que maladroite comme pas permis, reste modeste. Le problème majeur de Balade entre les tombes est simple : c'est incroyablement ennuyant. Les enjeux du scénario sont inintéressants au possible, comme les personnages caricaturaux et sans profondeur, et le tout est redoutablement mal rythmé à tel point que le film parait durer une éternité.

C'est d'autant plus dommage car comme dit plus haut, rien n'est profondément mauvais, c'est au pire un peu bête et convenu, mais ce qui pourrait être une honnête petite série B qui passe toute seule est plombée par ce rythme alarmant, n'aidant pas une enquête qui n'en finit plus. Malgré sa bêtise inter-sidérale, même Non-Stop parvenait à me captiver un minimum. Malheureusement ici c'est juste un thriller mollasson qui finira dans un oubli total après avoir tout de même dûment ennuyé.


Ninja Turtles, de Jonathan Liebesman (2014)

Doucement mais sûrement, Liebesman se hisse, l'air de rien, sur le podium des pires réalisateurs actuels, héritier en droite ligne des Rob Cohen et compagnie. Avec Ninja Turtles on tient probablement un paroxysme d'un film où rien ne va, tout est raté, voire pire : tout est de mauvais goût. On n'a pas le temps de souffler quelques secondes au début que la musique terrible de Brian Tyler envahit déjà le logo Paramount et donne le ton.

Évidemment c'est laid, c'est incroyablement laid. C'est laid et très mal mis en scène. Les scènes d'action sont réalisées n'importe comment, entre des longs-plans improbables et illisibles et du sur-découpage vomitif, décidément Liebesman s'est assuré de battre des records de ce côté-là. C'est là qu'on se dit que l'efficacité (voire virtuosité, j'ose le dire !) formelle d'un Michael Bay est franchement bien loin. Cela dit on atteint tellement des sommets de mauvais goût que quelque part le film en devient très drôle, comme un bon vieux nanar de derrière les fagots. C'est sans compter une intrigue improbable avec un méchant qui raconte son plan qu'on croirait imaginé par un enfant de 8 ans ou encore un rat qui devient maître ninja en regardant des images dans un livre probablement tiré de la collection "... pour les nuls".

En échange du racket de vos neurones et du viol de vos yeux, on a tout de même le droit à d'authentiques rires entre deux passages trop consternants pour être drôles. Car après tout, nous parlons d'un film qui fait un prout en CGI à la tête de son spectateur. C'est dire.


EN VIDÉO


Trapèze, de Carol Reed (1956)

Faire un film hollywoodien dont l'enjeu principal est l'achèvement d'un triple saut périlleux en trapèze a de quoi me laisser tout de même dubitatif, même avec ce casting et même avec la présence de Carol Reed. Trapèze n'a pas franchement l'ambition du très bon Le plus grand cirque du monde d'Henry Hathaway et se recentre davantage autour de l'intime et de la relation entre les trois personnages principaux.

Fort heureusement, le film trouve quand même son intérêt dans la description de son univers, ce petit monde du spectacle contenu à l'intérieur du Cirque d'Hiver Bouglione. Tout ceci contenu dans l'effervence parisienne des années 50 (très bien reconstituée en studio d'ailleurs) apporte un cachet indéniable au film qui compense quelque peu l'inintérêt que l'on porte à la trame dramatique. En parallèle on retrouve tout de même Burt Lancaster très investi dans le film (et pour cause, il est producteur, lui-même un ancien trapéziste d'ailleurs) qui laisse briller de mille feux sa musculature saisissante et qui contribue également à sauver quelque peu le film, en face d'un Tony Curtis un peu passif (malheureusement Curtis se fait régulièrement éclipser dans les films où il partage la vedette) et d'une Gina Lollobrigida carrément affreuse, recouverte d'un pot de peinture gris-verdâtre qui me fait me demander si ça n'est pas l'un des pires maquillages vus. Dommage que les personnages secondaires, dont certains sont intéressants, ne soient pas plus exploités.

La mise en scène de Carol Reed est assez solide même si sans génie, arrive tout de même à exploiter le format cinémascope même si l'on sent bien qu'il n'est pas adapté au thème du film... Reste quelques scènes d'acrobaties plus ou moins impressionnantes exécutées par Lancaster lui-même, qui marquent un net contraste avec celles de Curtis où Carol Reed cache bien mal la présence d'une doublure... Au mieux vaguement sympa, mais tout de même franchement oubliable.


San Antonio, de David Butler (1945)

Les westerns avec Errol Flynn me donnent toujours un enthousiasme inimitable et celui-ci ne déroge pas à la règle. Comme à l'accoutumée : enjeux simples mais exécution d'une redoutable efficacité. L'univers est soigné et vivant grâce à un technicolor une fois de plus incroyable sublimant un vrai travail sur le décor. C'est un vrai film qui met en scène le Texas et ses "Texicans", à croire que cela pourrait presque être un sous-genre du western à part entière.

L'histoire se suit avec plaisir grâce à une galerie de personnages secondaires riche en couleur, notamment ce duo de bad-guys à la complémentarité originale. La toute pouponne Alexis Smith pousse la chansonnette pour notre plus grand plaisir avant que l'on ne profite d'une fusillade finale généreuse et à l'échelle importante. 

Vraisemblablement, Raoul Walsh serait quelque peu passé derrière la caméra, une garanti de plus de l'efficacité de ce bon vieux western des familles.


Mary Reilly, de Stephen Frears (1996)

Intéressante la forme de continuité qu'évoque ce Mary Reilly avec d'autres adaptations des années 90 de la littérature classique fantastique, notamment Dracula de Coppola et Frankenstein de Kenneth Branagh. Sans mal, Stephen Frears invite complètement son cinéma dans cette relecture de l'histoire de Stevenson. Cette vision crasse et désespérante de l'Angleterre industrielle du XIXème siècle est remarquablement bien rendue par la caméra de Frears qui connait son sujet.

L'intrusion de la fameuse Mary Reilly dans l'univers du Dr. Jekyll (et évidemment celui de Mr. Hyde) apporte une touche de tension sexuelle très bien vue et parfaitement exploitée. A ce sujet-là, Julia Robert, très sobre, m'a étonnée. J'émets tout de même quelques réserves sur John Malkovich, évidemment toujours charismatique, mais en revanche régulièrement en roue libre. Cela dit, il manque quelque chose au film de Frears, un grain de folie, quelque chose qui ressorte plus du lot pour faire rayonner davantage son adaptation, pourtant très soignée, peut-être trop sage. On en redemande, on reste sur notre faim. Une découverte agréable même si un peu mineure.


World War Z, de Marc Foster (2013)

Soyons honnêtes : si j'ai voulu rattraper World War Z, c'est uniquement pour Brad Pitt, que je trouve être un des acteurs les plus remarquables du cinéma américains même si certains de ses choix récents me laissent un peu sceptique. Entre un thème qui m'ennuie (les zombies), une production qui s'est mal passée avec plusieurs reshoots, un réalisateur calamiteux ainsi que tout le mal que j'ai entendu dessus depuis sa sortie, World War Z risque peu de me plaire. Et évidemment, c'est un film raté.

Raté, mais curieusement je n'ai pas détesté autant que je le pensais. J'ai été étonnement pris par l'histoire d'un point de vue général, j'ai aimé l'approche globale, le côté globe-trotter qui donnait au thème une ambition plus que bienvenue, même si j'imagine bien volontiers que cette qualité vient du bouquin. Du coup, même si le film est terriblement mal réalisé et scénarisé avec les pieds, j'ai tout de même été pris dans l'intrigue. Après le problème c'est que tout va trop vite, on ne respire jamais, les zombies vont vite, la transformation va vite, la mise en scène va vite, les séquences s'enchaînent vite... A force de tout faire aller trop vite on fait perde de l'ampleur au film qui pourtant aurait pu éventuellement marcher dans les traces élégantes de La Guerre des mondes de Spielberg.

Ça me désole un peu de voir Brad Pitt tourner de nouveau dans ce genre de rôle idiot, même si je reste persuadé qu'un bon réalisateur pourrait changer la donne du tout au tout et tirer le meilleur de l'univers. Encore qu'à la décharge de Marc Foster, son montage semblait déjà plus intéressant. En plus du reste je sauve tout de même une photographie étonnement honnête et une musique correcte signée par le malheureusement sous-employé Marco Beltrami, d'ailleurs accompagné par Muse. Le film n'en reste pas moins raté, mais c'est d'autant plus rageant parce que cela apporte la preuve qu'il y du potentiel un peu partout.



vendredi 17 octobre 2014

[Critique] Elmer Gantry, le charlatan - Richard Brooks (1960)


Réalisateur : Richard Brooks

Scénariste : Richard Brooks
D'après le roman de : Sinclair Lewis

Acteurs : Burt Lancaster, Jean Simmons, Arthur Kennedy

Directeur de la photographie : John Alton


Compositeur : André Prévin

Monteur : Marjorie Fowler

Genre : Drame

Nationalité : Etats-Unis 

Durée : 2h26

Année de sortie : 1960



SynopsisPetit représentant de commerce au début des années vingt, Elmer Gantry est tout sauf honnête. Parcourant les Etats-Unis sans relâche dans le but de faire fortune, il rencontre une troupe de bateleurs religieux. Rapidement, il tombe amoureux de la soeur Sharon Falconer. Converti d'abord par opportunisme puis par amour pour la jeune femme, il met ses qualités de vendeur au service de la religion.


"Pêché ! Pêché ! Pêché ! Vous êtes tous des pêcheurs ! Vous êtes tous condamnés à la perdition !", s'exclame Burt Lancaster dans une transe presque inédite, avec un ton nous vendant sa bible comme s'il vendait des aspirateurs. Elmer Gantry, le charlatan serait-il le film ultime de Lancaster ? C'est une éventualité. C'est un film puissant et ravageur, un brûlot engagé contre la mode du revivalism, le réveil religieux qui a embrasé le monde rural américain dans les années 20 mais également brassé du billet vert comme rarement. Retour sur un des films les plus incroyables et avant-gardiste de sa décennie.

Avant-même l'incroyable générique désigné une fois de plus par le grand Saul Bass, Elmer Gantry donne le ton à travers un carton introductif décrivant la nature engagée du film, et déconseille le visionnage par de jeunes âmes sensibles. Très vite, le propos s'installe à travers l'univers décrit par le personnage incroyable qu'est Elmer Gantry. Vendeur bon-à-rien manipulateur mais charismatique, Gantry est une figure paradoxale qui arrive à lier antipathie et sympathie. Aucun doute sur le fait de pouvoir tenir près de deux heures trente sur un tel personnage, délivrant ainsi une véritable fresque sur tout un univers social, une version alternative et incendiaire de l'Americana.

Au fur et à mesure de l’ascension d'Elmer Gantry, de ses réquiems oratoires enflammés comme jamais, on repense à plus d'une reprise au personnage de Jordan Belfort, le fameux Loup de Wall Street. On imagine sans mal où Scorsese est venu chercher une inspiration majeure tant les transes des personnages semblent se répondre. Burt Lancaster, de son corps de dieu grec à la mâchoire carnassière et à l'air ahuri, s'impose une fois de plus derrière les traits de Gantry. Impossible d'imaginer une autre figure hollywoodienne que lui embrasser le rôle avec une telle passion, un tel engouement parfois impressionnant si ce n'est même inquiétant, d'autres fois attendrissant. L'air cabot et parfois au bord de la roue libre, Lancaster n'en reste pas moins un véritable gourou sur-charismatique d'un spontané fabuleux. Le bougre nous ferait le suivre jusqu'en enfer s'il le fallait.

Néanmoins Elmer Gantry vaut aussi grâce à toute une galerie de personnages finement écrits, qui équilibrent le récit en donnant merveilleusement bien la réplique à Lancaster. Jean Simmons, plus belle que jamais en Sister Falconer, malheureuse enfant qui est tombé dans le piège de croire en sa propre cause. L'aura du couple rayonne sur tout le film jusqu'à presque nous embobiner et nous faire perdre de vue la malhonnêteté de l'entreprise. Mais derrière les apparences, les personnages ne sombrent pas dans le manichéisme et finissent toujours par être développés à travers des dialogues d'une précision qui n'est pas sans rappeler les films très écrits de Stanley Kramer (pour lequel Burt Lancaster a également tourné, dans le très grand Jugement à Nuremberg). On notera également un Arthur Kennedy délicieux, vague figure (athée, par ailleurs) du peu d'honnêteté qui subsiste chez les personnages.

L'Amérique maladive décrite par Brooks (à qui l'on doit d'ailleurs, toujours sur la dérive de la société américaine, Graine de violence) rappelle la hargne iconoclaste de Samuel Fuller. On pourrait même penser que le code Hays est loin tant l'univers n'hésite pas à étaler ses vices alors tabous, notamment avec les prostituées. On en profite même pour admirer Jean Simmons dans une nuisette bien légère. L'obsession putassière du jugement permanent, typique de la société américaine moderne, en prend pour son grade à travers l’ascension et la déchéance de Gantry. Le jeu avec la religion, entre damner et être damné, s'apparente presque à une montagne russe infernale et malsaine. 

Brooks s'impose comme un auteur au talent singulier grâce à sa mise en scène qui fait totalement corps avec le sujet et laisse un sentiment net de modernité, sans aucun doute l'héritage de sa carrière dans le journalisme. On gardera en mémoire ces gros plans qu'il va chercher chez ces acteurs, d'une grande beauté, tout en traduisant idéalement la folie ambiante qui règne chez les personnages. Avant l'heure, Elmer Gantry est une matrice importante du Nouvel Hollywood. Cela ne peut conduire évidemment que vers un final terrifiant, qui semble sorti d'un film d'Arthur Penn, tout en apportant une nuance salvatrice à l'ensemble. Ainsi, l'apparente fin moralisatrice se retrouve elle-même nuancée par le caractère cyclique et sans conséquences des évènements décrits, à croire que la perversion de l'homme est répétitive et inéluctable.

Elmer Gantry peut paraître dépassé, mais n'en reste pas moins diablement d'actualité à l'heure où l'embobinage à des fins mercantiles fait plus que jamais rage sur les images de bien des médias, héritiers de ces grandes tentes où l'on prêchait n'importe quoi. On en ressort essoufflé, dubitatif sur ce qui peut advenir de notre société tant on se dit que d'un bonhomme comme Elmer Gantry à Steve Jobs, dans le fond, il n'y a qu'un pas...


mercredi 15 octobre 2014

[Avis en vrac] Taxi Driver (1976), Dracula (1931), Body Double (1984), The Naked Kiss (1964) et Waterloo Bridge (1931)

AU CINÉMA


Taxi Driver, de Martin Scorsese (1976)

Revisionnage.

On a très sûrement déjà tout dit sur l'un des chefs-d’œuvre absolu de Martin Scorsese, également l'un de plus beaux fers de lance du Nouvel Hollywood. Pour ma part c'est tout de même une vraie redécouverte dans la mesure où je ne l'avais probablement pas revu entier depuis au moins huit ans. Rien à dire : chaque plan, chaque cut, chaque fondu, chaque sensation... Tout laisse pantois dans ce film qui se savoure comme une curieuse et lancinante descente du Styx. Encore une fois on constate le fabuleux caractère de Scorsese à pouvoir s’approprier de la manière la plus fine qui soit bien des sujets, y compris ce scénario sur lequel il n'a pourtant jamais vraiment travaillé, fraîchement servi par Paul Schrader (qui, la même année, vivait une relation houleuse avec Brian De Palma sur Obsession).

Durant tout son premier acte, Taxi Driver est un film extrêmement sensoriel, fait d'impressions que laissent le New-York nocturne des années 70, avec ces lumières se réfléchissant partout sur le sol ou les contours du taxi, auxquelles Richard Donner fait d'ailleurs référence dans le très sympa Complots. Je suis subjugué par l'habilité avec laquelle le film de Scorsese tisse les ficelles du drame, avec ce trauma qui plane au-dessus du héros ou encore cette ambiance de cocotte minute, où tout peut exploser dans la rue d'une minute à l'autre. Que dire, si ce n'est une Palme d'Or bien méritée et le plaisir de vraiment découvrir Jodie Foster, déjà aperçue dans le génial Alice n'est plus ici.


EN VIDÉO


Dracula, de Tod Browning (1931)

Probablement motivé par la vision du calamiteux Dracula Untold sorti récemment, j'ai voulu me replonger dans la version originale des Universal Monsters, notamment après avoir enfin vu il y a quelques mois les excellents La Fiancée de Frankenstein et L'Homme invisible, pour ne citer qu'eux. Malheureusement, c'est une petite douche froide. Le moins que l'on puisse dire c'est que cette version produite par Carl Laemmle est plutôt fainéante et pas tant inspirée.

Ce qu'il faut tout de même retenir c'est ce film d'une heure et quart sans musique (si l'on excepte le générique d'introduction et une scène à l'opéra avec de la musique diégétique), ce qui évidemment apporte une touche d'audace et de fantaisie, de calme expressionniste, qui évidemment est la bienvenue. Cela dit ça ne suffit pas à maintenir un flot à film qui a clairement des problèmes de scénario, à la fois trop expédié et avec des séquences à rallonge, sans beaucoup d'ambition ni même de soin particulier apporté à l'univers hormis le premier acte. Passé quelques plans, même le production design a peu d'intérêt.

Le passage au parlant se fait d'ailleurs avec moult difficultés, entre le découpage parfois plan-plan et des acteurs complètement en roue libre, qui ne sont pas non plus aidés par des personnages très plats. Seul Edward Van Sloan, derrière les traits de Van Helsing, tire son épingle du jeu, à défaut d'un Dracula particulièrement inspiré.. Évidemment le verdict est sévère, mais Dracula, tout matriciel qu'il est, et malgré ses aspects réussis étalés de manière sporadique, fait tout de même pâle figure par rapport aux films signés par James Whale dans la même saga, ou tout simplement par rapport à ce que Browning lui-même est capable de faire.

Pour ceux désireux de se faire la saga Universal Monsters en version restaurée sans payer le prix exorbitant du coffret français, je recommande ce coffret-là, notamment trouvable sur le Amazon anglais, qui a le même contenu, les films et de nombreux documentaires intéressants en bonus, le tout également avec les sous-titres français.


Body Double, de Brian De Palma (1984)

Une fois de plus : observer et être observé. Ici, le thème règne en maître sur Body Double, peut-être encore plus que dans tout autre film de De Palma. Relecture fascinante et encore plus perverse de Fenêtre sur Cour d'Afled Hitchcock (mon préféré, au passage), Body Double est encore un de ces tours de force dl'auteur, capable de nous saisir aux tripes même dans avec des personnages et univers grotesques ou improbables. Cela dit, c'est presque là où le film perd très légèrement mon intérêt, sa légèreté et son côté farce le rendant moins percutant à mes yeux que ses grands frères Pulsions ou encore Obsession.

Il n'en reste pas moins que Brian De Palma est un fin psychologue et joue sans retenue avec la perversion de ses spectateurs tout le long du film. Évidemment toujours enclin à la générosité cinématographique, De Palma nous sert sur un plateau d'argent sa maestria formelle habituelle accompagnée d'une séquence géniale mettant littéralement en scène Relax de Frankie Goes to Hollywood. Et tandis que nous observons son film, Brian De Palma nous observe, nous et notre air ahuri devant la toile, nous qui attendons que nos pulsions soient portées à l'écran pour s'en inquiéter ensuite.


The Naked Kiss, de Samuel Fuller (1964)

On me pardonnera d'avoir préféré le titre original au titre français, le délicieusement hors-sujet "Police Spéciale".

Neuvième film de Samuel Fuller que je vois et quelque part je l'appréhendais un peu, sa réputation n'étant pas forcément à la hauteur des autres œuvres de sa filmographie. Pourtant, nul doute que The Naked Kiss est quelque part une pièce importante dans la carrière de Fuller, ce qui transpire dès le premier plan, témoin d'un cinéma enragé qui décidément n'a pas froid aux yeux. Une fois de plus, Fuller aborde de manière frontale les démons de la société américaine : le sexe, le vice ou encore la discrimination.

Fuller parvient à transformer son personnage principal, une ex-prostituée à la recherche de rédemption, en ce qu'il y a de meilleur dans l'univers du film, ce qu'il y a de plus beau. A ce titre il filme l'une des séquences les plus radieuse de sa carrière, cette chanson interprétée en cœur avec les enfants handicapés, où Constance Towers brille comme jamais. A plus d'une reprise le film est remarquable mais hélas c'est dans son dernier tiers qu'il pêche, avec cette enquête autour de la pédophilie manquant cruellement de rythme et d'originalité, contrastant justement avec l'efficacité discontinue qui est normalement la marque de fabrique de Fuller. The Naked Kiss aurait définitivement pu être un grand chef-d’œuvre de Fuller sans ce dernier acte pas franchement convainquant. Au pire, il n'en reste pas moins un très bon film d'un réalisateur majeur.

J'en profite d'ailleurs pour citer Martin Scorsese dans sa préface des mémoires de Samuel Fuller, A Third Face, My Tale of Writing, Fighting and Filmmaking :
« Certains disent que si l’on n’aime pas les Rolling Stones, on n’aime pas le rock’n roll. De la même façon, je crois que si l’on n’aime pas les films de Sam Fuller, on n’aime pas le cinéma.»
Amen.

Waterloo Bridge, de James Whale (1931)

Comme pas mal de gens j'ai probablement vu le très bon remake de Mervyn Leroy avec Robert Taylor et Vivian Leigh avant de voir celui-ci. D'emblée, le bon point qui surprend est le caractère plutôt différent des deux films. Là où la version de Leroy était beaucoup plus engagée dans le registre mélo-dramatique et beaucoup plus hollywoodianisée, cette version (d'ailleurs produite par Carl Lammle) s'ancre dans un registre bien plus réaliste, sobre et surtout pré-code Hays. Un indice est d'ailleurs donné assez rapidement lorsque l'on peut distinguer sans mal la poitrine de la ravissante Mae Clarke.

A la manière de Dracula, et ça n'est peut-être pas anodin puisque les deux films sont produits par Laemmle (pour lequel Whale a aussi tourné ses Frankenstein, décidément tout est connecté), Waterloo Bridge est d'une étonnante sobriété à travers son absence de musique. L'univers est plus direct, terre-à-terre et surtout sale. Le poupin mais enthousiasmant Douglass Montgomery (ici crédité Kent Douglass) nous rappelle à quel point la guerre était faite par des gamins, trop pleins de vie pour pouvoir se permettre de passer à côté du grand amour. Autrement dit, l'opposé exact du très "flynnesque" Robert Taylor. En parallèle, on aborde assez directement la thématique de la prostitution.

L'intensité dramatique de Waterloo Bridge est quelque part encore plus forte et authentique que dans le remake, qui était peut-être davantage "beau" dans un sens noble et hollywoodien de la bonne époque, comme en témoignait la très belle valse d'adieux. Ici la caméra de Whale épure le superflu, tout en conservant de superbes relations entre les personnages, notamment grâce à plusieurs seconds rôles très savoureux. Le dénouement, peut-être expédié, a quand même le mérite de clouer le bec.

mardi 14 octobre 2014

[Critique] Mission to Mars - Brian De Palma (2000)

Réalisateur : Brian De Palma

Scénaristes : Jim Thomas, John Thomas et Graham Yost

Acteurs : Gary Sinise, Tim Robbins, Don Cheadle

Directeur de la photographie : Stephen H. Burum


Compositeur : Ennio Morricone

Monteur : Kirk Baxter

Genre : Science-fiction

Nationalité : Etats-Unis 

Durée : 1h54

Année de sortie : 2000 


Synopsis2020. La NASA envoie pour la première fois une équipe d'astronautes sur Mars. Mais peu de temps après leur arrivée, ils sont confrontés à un phénomène surnaturel d'une puissance terrifiante et toutes les communications sont coupées. Une deuxième mission est envoyée à leur recherche...

Revisionnage.

L'année dernière, je redonnais une chance au mal-aimé Femme Fatale de Brian De Palma. J'y redécouvrais un film profondément bancal mais injustement sous-estimé tant ses moments virtuoses pouvaient l'emporter sur les moins réussis. Pendant longtemps, j'ai fait un blocage sur Mission to Mars, témoin avec Femme Fatale de l'échec plus ou moins complet de De Palma à rentrer dans la modernité des années 2000. A l'heure des redécouvertes et retournements de veste, l'odyssée spatiale du réalisateur de Pulsions mérite peut-être un nouveau coup d'oeil. Bingo.

Mission to Mars est peut-être un aboutissement important de la carrière de Brian De Palma, éventuellement son dernier grand film. Le réalisateur y expose une nouvelle part de lui-même alors peu exploitée, tout en conservant les obsessions qui ont fait son succès. A la manière du chef-d’œuvre de son ami Spielberg, Rencontres du troisième type, Mission to Mars est un film orienté vers la lumière, un conte, nuançant la part d'ombre de son auteur. C'est un côté de Brian De Palma que l'on retient peu, et pourtant présent dans nombre de ses films enclins à mettre en scène la beauté de l'image avec une certaine poésie.

Son "il était une fois...", il l'ouvre sur un traditionnel long-plan comme il en a désormais le secret depuis longtemps. Dans une telle exposition classique, on peut tout de même se demander où est-ce que De Palma existe, passé sa virtuosité derrière la caméra. Très rapidement, il met en place les enjeux relationnels des personnages ainsi que le trauma du héros, Jim. Le nœud du film se dessine. Mission to Mars évolue par la suite sans superflu, sans perte de temps, ellipsant les passages que De Palma juge inutiles au récit. Le côté condensé pourrait éventuellement porter préjudice au métrage, mais est la garanti d'une efficacité de bout en bout.

Lors de la découverte de la planète rouge, fidèle à lui-même, De Palma y insuffle l'ambiance des films de genre chère à son cœur. Il règne autour de Mission to Mars une aura mystique, définitivement surnaturelle et aux allures horrifiques : une nouvelle manière de recouper Rencontres du troisième type.  Les phases spatiales sont pour lui l'occasion de s'affranchir de bien des limites imposées par les environnements plus traditionnels. Ici, le plan maniéré est roi, De Palma joue avec son décor comme sans précédent. Le voyeurisme typique du metteur en scène prend une autre dimension, observer et être observé se joue à travers un élégant rapport entre les personnages et l'espace. A noter qu'à plus d'une reprise, on remarque des plans dont Alfonso Cuarón s'est largement inspiré pour Gravity.

La seconde moitié propulse le film dans une autre dimension, à l'issue osée et imprévisible. C'est sans aucun doute là que Mission to Mars a (hélas) perdu l'adhésion du public. Pourtant De Palma va au bout de ses ambitions pour conclure de la plus belle manière qui soit une superbe odyssée. A l'heure de la modernité et de ses grosses productions aux enjeux terre à terre et sombres, Mission to Mars, dans le même esprit que le également mal-aimé A.I. de Spielberg, se tourne vers le beau et le naïf, sous un regard bienveillant. Le conte est par ailleurs mis en valeur par la composition opératique d'Ennio Morricone, peut-être une de ses plus belles partitions. C'est peut-être là qu'on se rend le mieux compte de l'ambition incroyable de Mission to Mars.

Quelque part il faut être prêt à accepter l'audace de Brian De Palma et son invitation cinématographique. C'est le meilleur moyen de profiter du potentiel fabuleux du film, tout en fermant les yeux sur ses petites incohérences techniques ou encore un casting qu'on aurait sans doute voulu plus affirmé malgré la présence toujours agréable de Tim Robbins. C'est un film de science-fiction beau et singulier comme on en voit peu, mais il faut croire que Mars n'est définitivement pas une planète porte-bonheur, John Carpenter et Andrew Stanton en attesteront également...


A défaut d'une bande-annonce potable, je propose un petit extrait de la musique d'Ennio Morricone.

vendredi 10 octobre 2014

[Critique] Gone Girl - David Fincher (2014)


Réalisateur : David Fincher

Scénariste : Gillian Flynn   
D'après le roman : "Les Apparences" (Gone Girl) de Gillian Flynn

Acteurs : Ben Affleck, Rosamund Pike, Neil Patrick Harris

Directeur de la photographie : Jeff Cronenweth


Compositeurs : Trent Reznor et Atticus Ross

Monteur : Kirk Baxter

Genre : Thriller

Nationalité : Etats-Unis 

Durée : 2h39

Année de sortie : 2014 


Synopsis : A l’occasion de son cinquième anniversaire de mariage, Nick Dunne signale la disparition de sa femme, Amy. Sous la pression de la police et l’affolement des médias, l’image du couple modèle commence à s’effriter. Très vite, les mensonges de Nick et son étrange comportement amènent tout le monde à se poser la même question : a-t-il tué sa femme ?
 

Difficile aujourd'hui de passer à côté du véritable mammouth qu'est devenu David Fincher au sein du paysage cinématographique américain. Près de vingt-cinq ans après les débuts houleux de sa carrière de réalisateur sur Alien 3, Fincher suscite à chaque film un enthousiasme collectif peu commun. Difficile de dire qu'il ne mérite pas sa réputation tant Gone Girl est (encore une fois ?) une réussite intégrale, un film fascinant, hypnotique et construit avec une intelligence rare.

Gone Girl est la splendide conclusion de la "trilogie des médias" de Fincher, composée également de Zodiac et bien entendu de The Social Network. Mais nous y reviendrons.Quelque part,  Gone Girl est peut-être son film le plus cru et cynique ; probablement son plus sobre. Le film est redoutablement élégant, entre ses cadres et mouvement de caméra parfois très cliniques et sa maitrise de l'ambiance et de la tension qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler Bunny Lake a disparu d'Otto Preminger... Fincher a de qui tenir.

La construction du récit est terrassante d'efficacité : Fincher, appuyé au scénario par Gillian Flynn (par ailleurs auteur du livre éponyme) joue non sans adresse avec la curiosité du spectateur et sa capacité à anticiper l'histoire. Gone Girl ne cède pas aux modes putassières du moment qui régissent la structure narrative des thrillers et surprend rapidement le spectateur qui pensait avoir tout calculé. A chaque nouvel acte, David Fincher parvient à redynamiser la curiosité du spectateur tout en jouant sur sa frustration. Un jeu assez délicieux venant d'un tel auteur.

C'est aussi un fin créateur d'atmosphère qui se cache derrière la caméra. Les ambiances cultivées par Fincher, du moins sur ses derniers films, sont discrètes et pourtant toujours très présentes, faisant flotter dans l'air une tension discontinue. Les ficelles utilisées deviennent invisible tant tous les outils font corps avec le métrage. Une fois de plus le réalisateur rappelle les redoutablement doués Trent Reznor et Atticus Ross pour la partition musicale. Anti-symphonique et dissonante à plus d'une reprise, magnétique comme jamais, la piste musicale du duo de compositeurs rappelle à quel point elle contribue à la réussite du film tout en sachant se faire extrêmement discrète. Un tour de force une fois de plus incroyable qui met en évidence le côté fusionnel entre Fincher et ses compositeurs attirés depuis The Social Network.

Les thématiques brassées par Gone Girl sont diverses et s'intègrent une fois de plus intelligemment au récit, faisant de ce nouveau film un des plus critiques et acerbes de l'auteur. Si le regard sur les relations humaines et le mariage est percutant (au passage superbement bien contre-balancé par la relation entre le personnage d'Affleck et sa sœur jumelle), c'est évidemment le rapport à la "culture" des médias qui est dans la ligne de mire du réalisateur. Gone Girl est terrifiant.Le quatrième pouvoir américain est montré ici sous son pire jour, tout puissant et sectaire, dans une démesure paraissant parfois surréaliste mais qui pourtant ne décroche pas du réel. A la manière de l'excellent Prisoners, par sa vision et son étude de la culture, Gone Girl semble s'inscrire dans une lignée de films qui revisitent l'Americana avec un regard sec et critique. De quoi le rendre encore plus délicieux.

L'image du personnage de Ben Affleck, façonnée par Fincher, est remarquable. On joue d'ailleurs avec l'image même d'Affleck, tantôt américain moyen aux airs benêts, tantôt personnage motivé et plus subtil. D'ailleurs est-ce vraiment un hasard si Ben Affleck est aussi le réalisateur de Gone Baby Gone ? La direction d'acteur de Fincher est épatante, d'une précision peu commune tant il met en valeur dans ses plans chaque intention, chaque réplique, chaque mimique, avec ce talent très typique qu'il a d'isoler les personnages dans ses cadres. C'est sans parler d'une Rosamund Pike hypnotisante, captée comme on ne le voit plus si souvent dans le cinéma américain, avec toute une virtuosité qui n'est pas sans nous rappeler la grande époque des Hitchcock ou autre De Palma. Et là où Fincher fait briller sa direction, c'est que rien n'est éclipsé, aucun personnage ne souffre de l'autre, tous ont leur intérêt et provoquent la curiosité du spectateur.

Ainsi de suite, on est conduit par David Fincher vers un dénouement absolument saisissant et singulier, ultime touche de frustration et de cynisme sur un univers contemporain s'apparentant presque à la farce, comme il commençait déjà à la cultiver dans Fight Club. Gone Girl serait-il une nouvelle étape dans la carrière de David Fincher ? Bien possible. On pourrait encore passer des paragraphes et des paragraphes à expliquer pourquoi Fincher maitrise tous les éléments qui sont mis à sa disposition, passer des paragraphes à parler de la photographie numérique hors-du-commun de Jeff Cronenweth qui sous-expose avec subtilité les personnages, passer des paragraphes à parler du splendide rythme de ces deux heures et demi... Passé un certain cap, il faut ne plus tourner autour du pot et lâcher le mot : grand film.

N.B. : Si je ne m'abuse c'est le premier film que je vois tourné en RED Epic Dragon, nouvelle-née de chez RED concrétisant une fois de plus le partenariat toujours génial avec David Fincher. Reste à voir le rendu sur Exodus de Ridley Scott, péplum biblique tourné en numérique 3D.