mercredi 15 octobre 2014

[Avis en vrac] Taxi Driver (1976), Dracula (1931), Body Double (1984), The Naked Kiss (1964) et Waterloo Bridge (1931)

AU CINÉMA


Taxi Driver, de Martin Scorsese (1976)

Revisionnage.

On a très sûrement déjà tout dit sur l'un des chefs-d’œuvre absolu de Martin Scorsese, également l'un de plus beaux fers de lance du Nouvel Hollywood. Pour ma part c'est tout de même une vraie redécouverte dans la mesure où je ne l'avais probablement pas revu entier depuis au moins huit ans. Rien à dire : chaque plan, chaque cut, chaque fondu, chaque sensation... Tout laisse pantois dans ce film qui se savoure comme une curieuse et lancinante descente du Styx. Encore une fois on constate le fabuleux caractère de Scorsese à pouvoir s’approprier de la manière la plus fine qui soit bien des sujets, y compris ce scénario sur lequel il n'a pourtant jamais vraiment travaillé, fraîchement servi par Paul Schrader (qui, la même année, vivait une relation houleuse avec Brian De Palma sur Obsession).

Durant tout son premier acte, Taxi Driver est un film extrêmement sensoriel, fait d'impressions que laissent le New-York nocturne des années 70, avec ces lumières se réfléchissant partout sur le sol ou les contours du taxi, auxquelles Richard Donner fait d'ailleurs référence dans le très sympa Complots. Je suis subjugué par l'habilité avec laquelle le film de Scorsese tisse les ficelles du drame, avec ce trauma qui plane au-dessus du héros ou encore cette ambiance de cocotte minute, où tout peut exploser dans la rue d'une minute à l'autre. Que dire, si ce n'est une Palme d'Or bien méritée et le plaisir de vraiment découvrir Jodie Foster, déjà aperçue dans le génial Alice n'est plus ici.


EN VIDÉO


Dracula, de Tod Browning (1931)

Probablement motivé par la vision du calamiteux Dracula Untold sorti récemment, j'ai voulu me replonger dans la version originale des Universal Monsters, notamment après avoir enfin vu il y a quelques mois les excellents La Fiancée de Frankenstein et L'Homme invisible, pour ne citer qu'eux. Malheureusement, c'est une petite douche froide. Le moins que l'on puisse dire c'est que cette version produite par Carl Laemmle est plutôt fainéante et pas tant inspirée.

Ce qu'il faut tout de même retenir c'est ce film d'une heure et quart sans musique (si l'on excepte le générique d'introduction et une scène à l'opéra avec de la musique diégétique), ce qui évidemment apporte une touche d'audace et de fantaisie, de calme expressionniste, qui évidemment est la bienvenue. Cela dit ça ne suffit pas à maintenir un flot à film qui a clairement des problèmes de scénario, à la fois trop expédié et avec des séquences à rallonge, sans beaucoup d'ambition ni même de soin particulier apporté à l'univers hormis le premier acte. Passé quelques plans, même le production design a peu d'intérêt.

Le passage au parlant se fait d'ailleurs avec moult difficultés, entre le découpage parfois plan-plan et des acteurs complètement en roue libre, qui ne sont pas non plus aidés par des personnages très plats. Seul Edward Van Sloan, derrière les traits de Van Helsing, tire son épingle du jeu, à défaut d'un Dracula particulièrement inspiré.. Évidemment le verdict est sévère, mais Dracula, tout matriciel qu'il est, et malgré ses aspects réussis étalés de manière sporadique, fait tout de même pâle figure par rapport aux films signés par James Whale dans la même saga, ou tout simplement par rapport à ce que Browning lui-même est capable de faire.

Pour ceux désireux de se faire la saga Universal Monsters en version restaurée sans payer le prix exorbitant du coffret français, je recommande ce coffret-là, notamment trouvable sur le Amazon anglais, qui a le même contenu, les films et de nombreux documentaires intéressants en bonus, le tout également avec les sous-titres français.


Body Double, de Brian De Palma (1984)

Une fois de plus : observer et être observé. Ici, le thème règne en maître sur Body Double, peut-être encore plus que dans tout autre film de De Palma. Relecture fascinante et encore plus perverse de Fenêtre sur Cour d'Afled Hitchcock (mon préféré, au passage), Body Double est encore un de ces tours de force dl'auteur, capable de nous saisir aux tripes même dans avec des personnages et univers grotesques ou improbables. Cela dit, c'est presque là où le film perd très légèrement mon intérêt, sa légèreté et son côté farce le rendant moins percutant à mes yeux que ses grands frères Pulsions ou encore Obsession.

Il n'en reste pas moins que Brian De Palma est un fin psychologue et joue sans retenue avec la perversion de ses spectateurs tout le long du film. Évidemment toujours enclin à la générosité cinématographique, De Palma nous sert sur un plateau d'argent sa maestria formelle habituelle accompagnée d'une séquence géniale mettant littéralement en scène Relax de Frankie Goes to Hollywood. Et tandis que nous observons son film, Brian De Palma nous observe, nous et notre air ahuri devant la toile, nous qui attendons que nos pulsions soient portées à l'écran pour s'en inquiéter ensuite.


The Naked Kiss, de Samuel Fuller (1964)

On me pardonnera d'avoir préféré le titre original au titre français, le délicieusement hors-sujet "Police Spéciale".

Neuvième film de Samuel Fuller que je vois et quelque part je l'appréhendais un peu, sa réputation n'étant pas forcément à la hauteur des autres œuvres de sa filmographie. Pourtant, nul doute que The Naked Kiss est quelque part une pièce importante dans la carrière de Fuller, ce qui transpire dès le premier plan, témoin d'un cinéma enragé qui décidément n'a pas froid aux yeux. Une fois de plus, Fuller aborde de manière frontale les démons de la société américaine : le sexe, le vice ou encore la discrimination.

Fuller parvient à transformer son personnage principal, une ex-prostituée à la recherche de rédemption, en ce qu'il y a de meilleur dans l'univers du film, ce qu'il y a de plus beau. A ce titre il filme l'une des séquences les plus radieuse de sa carrière, cette chanson interprétée en cœur avec les enfants handicapés, où Constance Towers brille comme jamais. A plus d'une reprise le film est remarquable mais hélas c'est dans son dernier tiers qu'il pêche, avec cette enquête autour de la pédophilie manquant cruellement de rythme et d'originalité, contrastant justement avec l'efficacité discontinue qui est normalement la marque de fabrique de Fuller. The Naked Kiss aurait définitivement pu être un grand chef-d’œuvre de Fuller sans ce dernier acte pas franchement convainquant. Au pire, il n'en reste pas moins un très bon film d'un réalisateur majeur.

J'en profite d'ailleurs pour citer Martin Scorsese dans sa préface des mémoires de Samuel Fuller, A Third Face, My Tale of Writing, Fighting and Filmmaking :
« Certains disent que si l’on n’aime pas les Rolling Stones, on n’aime pas le rock’n roll. De la même façon, je crois que si l’on n’aime pas les films de Sam Fuller, on n’aime pas le cinéma.»
Amen.

Waterloo Bridge, de James Whale (1931)

Comme pas mal de gens j'ai probablement vu le très bon remake de Mervyn Leroy avec Robert Taylor et Vivian Leigh avant de voir celui-ci. D'emblée, le bon point qui surprend est le caractère plutôt différent des deux films. Là où la version de Leroy était beaucoup plus engagée dans le registre mélo-dramatique et beaucoup plus hollywoodianisée, cette version (d'ailleurs produite par Carl Lammle) s'ancre dans un registre bien plus réaliste, sobre et surtout pré-code Hays. Un indice est d'ailleurs donné assez rapidement lorsque l'on peut distinguer sans mal la poitrine de la ravissante Mae Clarke.

A la manière de Dracula, et ça n'est peut-être pas anodin puisque les deux films sont produits par Laemmle (pour lequel Whale a aussi tourné ses Frankenstein, décidément tout est connecté), Waterloo Bridge est d'une étonnante sobriété à travers son absence de musique. L'univers est plus direct, terre-à-terre et surtout sale. Le poupin mais enthousiasmant Douglass Montgomery (ici crédité Kent Douglass) nous rappelle à quel point la guerre était faite par des gamins, trop pleins de vie pour pouvoir se permettre de passer à côté du grand amour. Autrement dit, l'opposé exact du très "flynnesque" Robert Taylor. En parallèle, on aborde assez directement la thématique de la prostitution.

L'intensité dramatique de Waterloo Bridge est quelque part encore plus forte et authentique que dans le remake, qui était peut-être davantage "beau" dans un sens noble et hollywoodien de la bonne époque, comme en témoignait la très belle valse d'adieux. Ici la caméra de Whale épure le superflu, tout en conservant de superbes relations entre les personnages, notamment grâce à plusieurs seconds rôles très savoureux. Le dénouement, peut-être expédié, a quand même le mérite de clouer le bec.

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