vendredi 30 décembre 2016

Top 2016 - Transcender l'état du monde

La fin d'année nous fait demander ce que l'on a retenu - en l’occurrence, cinématographiquement - de ces douze derniers mois. L'exercice, ultra-subjectif, partiel et partial, implique cependant de repenser les films que l'on a appréciés, et surtout de pouvoir les mettre en parallèle, pour voir de la sorte ce qu'ils peuvent générer une fois réunis. J'aime finalement beaucoup l'enjeu du top, car il me paraît à chaque fois imprévisible. Je me laisse surprendre autant par les films que par mon propre classement, mais tant mieux.

2016, c'est la part belle au documentaire. C'est l'état du monde, vu dans des rues saccagées, par Abbas Fahdel et son Homeland : Irak année zéro, mais aussi dans des forêts enneigées, par Jacques Perrin dans Les Saisons, ou encore depuis des montagnes enflammées, par Werner Herzog, dans Into the Inferno. C'est l'état du futur, toujours par Herzog, qui se plonge au sein des Internets dans Lo and Behold ; c'est l'état du passé, par Bertrand Tavernier, dans Voyage à travers le cinéma français. A l'instar de ce dernier, ce sont aussi les hommages, les déclarations d'amour, de Jodorowsky's Dune à Close Encounters with Vilmos Zsigmond. Quelle année pour le documentaire !

Ceci dit, 2016 n'aura pas non plus été des plus réjouissantes, et pourtant il faut croire que j'ai aimé me réfugier dans les drames : de la gourmandise lacrymale des Délices de Tokyo de Naomi Kawase à la sensualité "filmnoiresque" de Pedro Almodóvar dans son Julieta. Il y a même Manchester by the Sea de Kenneth Lonergan, tout de même sacrément désespérant, ou, à échelle plus réduite si j'ose dire, Ma Vie de Courgette de Claude Barras. Drames de toutes formes, par ailleurs : en noir et blanc dans Frantz de François Ozon, en couleur mais guère plus réjouissant dans La Fille inconnue des frères Dardenne. Drames pas seulement réels, d'ailleurs, puisque la science-fiction a brillamment flirté avec, à deux reprises cette année : dans Midnight Special de Jeff Nichols, et Premier Contact de Denis Villeneuve. Heureusement que le drame appelle aussi souvent le beau, comme dans Moi, Daniel Blake, de Ken Loach.

Parlant de beau, parlons de rires, il en faut : des délires adolescents, filmés avec une infinie tendresse par Richard Linklater dans Everybody Wants Some !!, ou encore, avec pas moins de tendresse, celle qui fait passer Depardieu une fois de plus devant la caméra de Gustave Kervern et Benoît Delépine dans Saint Amour : du cinéma qui fait du bien. Et puis le grotesque, l'absurde, l'inclassable, le rire qu'on ne retrouve pas à tous les coins de rue : Ma Loute de Bruno Dumont autant que La Loi de la jungle d'Antonin Peretjatko. Pas mal.

Maintenant, il faut aussi faire le décompte un peu honteux de ce que j'ai raté : Toni Erdmann, Aquarius, Anomalisa, The Strangers, Le Bois dont les rêves sont faits...

En voilà-donc 25 que je retiens :

1 - Into de Inferno, de Werner Herzog
 Voilà de quoi parfaitement illustrer le rapport de Herzog à l'extase, joyau tant convoité du cinématographe, entre grandeur et sidération formelle, réflexion sociétale et mythologie. Puissante expérience filmique.



2 - Voyage à travers le cinéma français, de Bertrand Tavernier
Dès les premiers photogrammes, l'émotion absolue devant la déclaration d'amour de Tavernier à toute cette histoire du cinématographe qui l'a parrainé. Une somptueuse et instructive quête du souvenir.


3 - Les 8 Salopards, de Quentin Tarantino
Tarantino à son meilleur dans un huis-clos qui emprunte l'esthétique des grands espaces grâce au format super-Panavision, taillant savamment un western thrilleresque absolument délicieux.

4 - Homeland, Irak année zéro, d'Abbas Fahdel
Une aventure cinématographique comme rarement on en vit, nous propulsant dans un quotidien et une actualité qui nous échappent complètement. C'est dur, voire éprouvant, mais que c'est beau. Merci Abbas Fahdel.
Critique sur Filmosphere.

5 - Julieta, de Pedro Almodovar
Le sens du mélodrame comme je l'aime : l'esprit sirkien en filigrane, l'amour d'Almodovar pour ses personnages et actrices, l'intensité du récit qui n'en fait jamais trop, avec une grande pudeur.
Critique sur Filmosphere


6 - Elle, de Paul Verhoeven
Verhoeven gratifiant le cinéma français d'un retour aux sources de son cinéma de l'époque néerlandaise, comment pourrais-je ne pas y être sensible ? Intrigant, malaisant, mais surtout délicieusement ambigu comme il se doit.

7 - Les Délices de Tokyo, de Naomi Kawase
Un film qui donne faim et qui fait pleurer, quelle recette parfaite ! La douceur du film de Naomi Kawase - dont j'avais détesté le précédent - est totalement enivrante, surtout d'une simplicité bouleversante.

8 - Nocturama, de Bertrand Bonello
Bonello frappe fort là où on ne l'attendait pas forcément, en dépit de son sujet, avec un film brillamment écrit et réalisé, absolument sans concessions jusqu'à sa toute fin qui a de quoi laisser bouche bée un petit moment.
Critique sur Filmosphere

9 - The Assassin, de Hou Hsiao-Hsien
Hou Hsiao-Hsien troque l'épopée épique du wu xia pian contre un récit splendide, envoûtant, onirique, qui bouleverse par sa capacité de ne pas montrer ou suggérer, en faisant sa plus grande force, sa plus grande beauté, et sa meilleure réflexion sur la violence à l'image.




10 - Premier Contact, de Denis Villeneuve
Villeneuve poursuit son incroyable effort américain, s'ouvrant ici avec un panache colossal les portes de la science-fiction, fort d'un arsenal cinématographique à toutes épreuves, et d'une Amy Adams au sommet.


11 - Midnight Special, de Jeff Nichols
A la lisière de la science-fiction et du fantastique, Nichols se dévoile dans un conte sur l'enfance et le deuil, savamment influencé par ses grands mentors, mais jamais dans leur ombre. Bel exploit.

12 - Steve Jobs, de Danny Boyle
Je n'aurais jamais imaginé voir Danny Boyle dans un de mes tops, et pourtant ! Fort d'un script brillant de Sorkin et d'une interprétation parfaitement maîtrisée, Boyle gagne en maturité et livre, tout simplement, son meilleur film.

13 - Moi, Daniel Blake, de Ken Loach
La Palme d'Or a divisé et pourtant elle m'a beaucoup ému. Il faut reconnaître en Loach la capacité à créer des personnages à la sympathie indiscutable, contribuant à partager l'envie de lutter à leurs côtés, être impliqué à leur hauteur.


14 -  Frantz, de François Ozon
La beauté du classicisme, Ozon sait la manier, écrivant intelligemment et non sans ambition un récit mélodramatique sur le trauma, porté de long en large par son interprète principale, la lumineuse Paula Beer.

15 - 13 Hours, de Michael Bay
S'il y a certes toujours un petit Michael Bay qui traîne dans mon top, il faut avouer qu'ici il ne démérite pas. Bay se concentre sur ce qu'il sait faire de mieux : le filmage pur et dur, au service d'une ambiance démentielle et d'un propos loin d'être idiot.
Critique sur Filmosphere

16 - Paterson, de Jim Jarmusch
Jarmusch nous convie dans un tendre spleen urbain, un film mélancolique d'une douceur résolument attachante, porté par le magnifique duo Adam Driver / Golshifteh Farahani. Parfait pour finir l'année !



17 - Jodorowsky's Dune, de Frank Pavich
Le documentaire de Frank Pavich n'est pas seulement l'hommage à un film jamais fait et à ses géniteurs, mais plutôt une réflexion géniale sur une période de créativité absolument hors-du-commun, où tout était permis. Ou presque.


18 - Saint Amour, de Gustave Kervern et Benoît Delépine
En sortant de la salle, on va mieux : voilà les vertus du film de Kervern et Delépine, nous offrant Depardieu comme on l'aime tant, et une jolie quête initiatique dans une France rurale filmée avec plein d'amour, ce qui est bien rare.


19 - Everybody Wants Some !!, de Richard Linklater
Ce bon vieux Richard Linklater est toujours là pour surprendre et nous faire part de son dynamisme, ici boosté par les universitaires américains, une bande-son grandiose et un regard beau et candide sur la jeunesse.



20 - Sully, de Clint Eastwood
Eastwood poursuit sa saga sur le héros américain, forgeant ici un complément à son précédent long-métrage. Formellement impressionnant, fort de son IMAX et de la mise en scène eastwoodienne, c'est aussi une belle réflexion sur la communauté.

21 - Café Society, de Woody Allen
Évidemment sans surprise, et pourtant du Allen comme on l'aime, de ses personnages gauches et attachants à son sens du dialogue non sans cynisme, la beauté des relations inachevées, et la belle photographie de Vittorio Storaro.
Critique sur Filmosphere

22 - Manchester by the Sea, de Kenneth Lonergan
C'est larmoyant, et alors ? Et pourtant, Lonergan a ce pur esprit du mélo qui n'en fait pas trop, arrivant à s'arrêter à temps, sachant quoi montrer ou non, et pouvant compter sur le fantastique Casey Affleck pour porter l'histoire.


23 - Lo and Behold, reveries of the connected world, de Werner Herzog
Un doublé de Herzog, un ! Plongé dans l'au-delà virtuel des Internets et du monde de la technologie, Herzog y retrouve les racines de la modernité et s'interroge quant à notre futur, devenu désormais immatériel, imprévisible. "Internet rêve-t-il de lui-même ?"

24 - Ma Loute, de Bruno Dumont
Savamment grinçant et mesuré dans sa roue libre, le film de Dumont est délicieusement anormal, jusqu'à en être parfois à la limite du supportable. Mais tant mieux, quoi de mieux que sortir des gonds dans un sentier aussi balisé que la comédie ?



25 - La Tortue rouge, de Michael Dudok de Wit
Dudok de Wit livre une recette exemplaire de l'animation : universelle, sans dialogues, simple et d'une beauté étourdissante. Largement de quoi conférer tout un bel intérêt à cette revisite onirique d'une épopée crusoesque.



Et puisque c'est de rigueur, dans le folklore du top, voici, tant qu'à faire, le top10 (non ordonné) de mon fond de poubelle cru 2016 : Ben-Hur, Assassin's Creed, Nerve, Free State of Jones, Ghostbusters, Gods of Egypt, Warcraft, Captain America : Civil War, Tarzan, et Independance Day : Resurgence.

Maintenant, il faut penser à 2017...