mardi 7 février 2017

[Avis en vrac] Vus et revus #24


Napoléon, d'Abel Gance (1927)

Hélas peu actif ces derniers temps, je publie tout de même cet article afin de revenir principalement sur mes gros coups de cœur de l'année passée, ou quelques autres films vus et revus au sujet desquels je souhaitais dire deux mots.

Into the Inferno, de Werner Herzog (2016)

Qui d'autre que l'ami Werner Herzog s'aventurera pareillement, à la frontière de la mort par carbonisation, devant des volcans actifs ? Into the Inferno n'est pas fabuleux seulement car il est le documentaire d'un grand voyageur en quête de territoires dangereux, mais aussi parce qu'Herzog, fort de son goût du mystique, s'intéresse à toute la culture qui orbite autour des montagnes en colère. La curiosité est alors de mise devant les bizarreries en questions, étonnantes (cette église romaine catholique en forme de poulet) ou littéralement incroyable (le culte de John Frumm). Le film pourrait durer des heures et des heures, voyageant vers l'inconnu, notamment dans son génial chapitre nord-coréen. Et si c'est peut-être une forme de frustration de désirer appesantir sur tous ces chapitres face au rythme d'Herzog, il faut reconnaître à ce dernier la grande capacité de pouvoir presque tout compiler sans perde la force formelle et spirituelle de ses images et thèmes. Et si le meilleur film de 2016 n'était pas sorti au cinéma ?


Napoléon, d'Abel Gance (1927)

Revisionnage : j'ai eu l'immense chance de voir cette nouvelle version, fraîchement restauré par le BFI sous la direction de Kevin Brownlow, avec la musique de Carl Davis, présentée au Royal Festival Hall de Londres. 

Dans le vaste territoire des revisites de l’Histoire, les fantasmes se confrontent à une réalité qui nous échappe. Des miettes de son héritage, nous tissons éventuellement une fresque comme ode à la grandeur, une célébration qui se veut à la fois anachronique et intemporelle, soit une Histoire qui s’écrit sur l’autre. C’est celle-là même qu’a imprimée Abel Gance lorsqu’il forgea son Napoléon il y a près d’un siècle, convoitant une ampleur qui ne trouverait d’égal que face à son propre sujet. Et quand ce dernier mit l’Europe dans son ombre, ce fut bien, et c’est toujours, son adaptation qui met ce coup-ci le cinématographe tout entier dans la sienne.

Texte à lire sur Filmosphere :
www.filmosphere.com/movies/napoleon-abel-gance-1927


Stalingrad, de Joseph Vilsmaier (1993)

Revisionnage.

Le site Le Bleu du Miroir m'a offert le privilège d'une Carte Blanche, parfaite opportunité pour mettre en avant un grand film de guerre hélas un peu oublié.

Le paysage, désespérément blanc, ne laisse entrevoir aucun réel horizon. À terre, dans la neige, quelques silhouettes bougent : des moitiés d’hommes, ensevelis tant bien que mal dans leurs positions retranchées. La terre tremble. S’invitent dans la scène une poignée de blindés, un peu plus loin, dont on pourrait croire qu’ils ne font que passer. Le crissement des chenilles qui freinent. Ils tournent. Il s’agit désormais d’arrêter ces masses avec quelques coups de canons, quelques grenades ou quelques mines entre les mains de soldats peu confiants. Les mitrailleuses s’actionnent, les engins font feu sans même ralentir. Ils avancent lentement, mais cette langueur est terrifiante ; celle qui laisse tout le luxe d’observer sa mort droit dans les yeux.

Texte à lire sur Le Bleu du Miroir :
http://www.lebleudumiroir.fr/carte-blanche-stalingrad


Sous le Soleil de Satan, de Maurice Pialat (1987)

Sans conteste, Sous le Soleil de Satan restera une expérience filmique mémorable à mes yeux. D'une part, j'ai été bouleversé par l'approche formelle de Maurice Pialat, avec ces tombes sobres remarquablement travaillés dans la lumière qui s'échappe des fenêtres, parfois comme dans un tableau de Vermeer. Il faut dire que la beauté de ces paysages quasi-désolés du Nord joue grandement. Surtout, l'intensité spirituelle du scénario, qui se mêle à la densité du jeu (ou plutôt sous-jeu) de Gérard Depardieu, amène une émotion absolument pure sur ses réflexions. Le film tout entier est une immense zone grise remplie d'incertitudes, si belles, si humaines, parfois si dangereuses, que Pialat sait absolument magnifier. C'est comme si le personnage de Depardieu était la synthèse de la ferveur de Jean-Paul Belmondo et des doutes d'Emmanuelle Riva dans Léon Morin, prêtre : quel plus beau mélange ? Mais il faut croire, vu les sifflets reçus lors de sa Palme d'Or, que tout le monde n'aura pas été sensible à une si belle vérité.


Lo and Behold, de Werner Herzog (2016)

Voilà, Werner Herzog est comme le lapin Duracell : il ne s'arrête jamais. Ici, il troque les voyages du bout du monde contre un périple virtuel dans l'au-delà d'Internet - mais Lo and Behold n'est peut-être pas moins mystique que ses autres œuvres. Évidemment, on peut se dire qu'Herzog est loin d'aller au bout de la question, ce qui en réalité est impossible vu la vitesse de développement de son sujet, et le fait qu'après tout, nous en soyons encore au début. Herzog ne s'intéresse pas vraiment de manière moralisatrice aux dangers d'Internet et de la technologie, bien qu'il y présente toutes ses facettes. Les interrogations - sans réelles réponses - sont dans l'absolu géniales : "Internet rêve-t-il de lui-même" ? Encore une fois, c'est aussi ici le prétexte pour faire le tour de différences communautés, parfois singulières comme ces allergiques des ondes qui vivent dans la forêt, au sein d'une zone blanche. Werner a voyagé dans le temps et dans l'espace, voilà qu'il voyage désormais dans l'ultime frontière de l'immatériel.


Ben-Hur, de Fred Niblo (1925)

Devant la version de Ben-Hur par Fred Niblo, on est tenté de se dire que le bon vieux William Wyler (par ailleurs déjà assistant sur cette précédente adaptation, comme quoi) n'a rien inventé. Fred Niblo réalise un film qui est en quelques sortes la gloire absolue des fresques du cinéma muet. Ce qui aurait pu être un simple déploiement de moyens techniques impressionnants (c'est déjà le cas) est aussi une adaptation superbement bien racontée, forte en émotion, en beauté brute. On peut alors se demander si la scène la plus impressionnante est celle des galères, ou plus simplement, celle de la mère de Ben-Hur, lépreuse, venant embrasser l'ombre de son enfant qui dort. Quel sublime moment d'émotion ! Mais ne boudons pas notre plaisir non plus devant l'ampleur du reste, et évidemment devant l'éternelle course de chars, qui d'une part est d'une largeur relativement incommensurable, et d'autre part est d'une inventivité cinématographique à tomber par terre, à tel point que ce cher Wyler s'en tiendra, principalement, à la reprendre plan par plan. Le désir d'innovation des réalisateurs du muet est saisissant, anticipant, et de très loin, tout ce qui se ferait aujourd'hui à l'heure des GoPro. Pour clore le spectacle, une poignée de scènes en Technicolor, notamment celles entourant le Christ, d'une splendeur picturale à couper le souffle, d'autant car conjuguées à la très puissante et très wagnerienne musique de Carl Davis. Une anecdote de production délicieusement glauque veut que l'affrontement maritime, à échelle réelle et d'une violence inouïe, ait engendré la disparition de plusieurs figurants jouant des esclaves ayant fini à l'eau, et n'étant curieusement jamais revenu chercher leurs vêtements sur la plage à la fin de la journée. En voilà du spectacle pour le peuple ! A découvrir impérativement.

Le Rouge et le noir, de Claude Autant-Lara (1954)

Que c'est barbant, bon sang ! Claude Autant-Lara livre une adaptation quelconque de Stendhal, qui non seulement est d'un académisme tristounet (contrairement au plus tardif Comte de Monte Cristo qu'il parvient à transcender) mais qui en plus n'a pas vraiment d'ampleur. La direction artistique est relativement au rabais, entre costumes kitchs et décors si vides qu'ils paraissent parfois abstraits. Gérard Philippe campe mollement Julien Sorel, réfugié derrière ses traits poupins mais incapable de profondeur dramatique, face à une Danielle Darrieux totalement mécanique. Faire du Rouge et du noir un film sans passion est tout de même un comble ! Quelques belles lignes s'échappent çà et là, vestiges de la densité du matériau de base, ou d'autres beaux plans suscitent l'attention, mais bien peu pour rendre palpitantes ces trois longues heures d'adaptation anecdotique, sauf peut-être pour les amateurs de "cinéma à papa" et autres vieilleries. A noter, tout de même, la belle musique de René Cloërec.


Les Disparus de Saint-Agil, de Christian-Jaque (1938)

Si Les Disparus de Saint-Agil n'est peut-être pas la claque que j'attendais, il est la démonstration formidable d'un emploi judicieux du concept immatériel de la nostalgie. Ici, elle ne sert pas une démarche simplement passéiste ou intéressée, mais est l'authentique et le plus simple refuge devant les inéluctables ténèbres du futur. Après tout, c'est un film où les adultes ne parlent que de la guerre, et, évidement, le contexte de sortie n'est pas anecdotique. L'aventure des bambins est plus qu'autre chose un périple initiatique, pour eux de vouloir grandir et s'émanciper, quand il s'agit pour le magnifique personnage d'Erich von Stroheim de retrouver une innocence perdue. Christian-Jaque est par ailleurs un élégant formaliste, mais dont la discrétion du style confère une ambiance agréable à l'univers du récit, certainement matricielle pour les nombreux cinéastes ayant touché au "film d'orphelinat" si on peut le dire ainsi. Et comme il n'y a pas de pareille institution sans personnage haut en couleur, le délicieux Michel Simon répond bien heureusement présent.


Bulworth, de Warren Beatty (1998)

Quel personnage étonnant, ce Warren Beatty ! Bulworth est d'autant plus à voir au regard de l'actualité, comme sacré brûlot face à la politique conservatrice, qu'importe le parti. Ce qui est touchant, c'est que derrière la volonté politique de Beatty (d'autant plus à remettre en perspective lorsque l'on sait qu'il a un temps été envisagé comme candidat démocrate), il arrive néanmoins à tailler de jolis personnage, que ce soit le sien ou celui de la sublime Halle Berry. L'aventure, en plus d'être engagée, est donc touchante, est c'est le plus important. Certes, ça n'est pas le plus grand film de Warren Beatty, certes il n'y a pas le grandiose et ça n'est peut-être pas aussi engagé dans le fond que Reds, mais l’enthousiasme l'emporte sur les défauts de rythme ou quelques facilités scénaristiques, compensé également par la photographie de Vittorio Storaro, qui, sans être géniale, assure une fois de plus un film qui fait du bien et qui mérite d'être revu.

J'en profite pour conseiller le très bon documentaire d'Olivier Nicklaus Warren Beatty : une obsession hollywoodienne, qui cerne parfaitement bien les lubies et paradoxes du bonhomme.


Extrême Préjudice, de Walter Hill (1987)

Walter Hill n'est guère un réalisateur surprenant, tapissant ici, comme à l'accoutumée, Extrême Préjudice de l'héritage de Sam Peckinpah. Mais quelle efficacité ! Efficacité scénaristique, dans un premier temps, car il faut reconnaître à Hill cette capacité constante, ou presque, à établir des enjeux et personnages éventuellement archétypaux, mais absolument attachants. Il sait s'entourer du casting adéquat, forcément, et les années 80 et 90 auront largement prouvé quel acteur exceptionnel est Nick Nolte. Pour le reste, il s'agit de faire parler la poudre dans cette revisite façon néo-western non-dissimulée de La Horde Sauvage. Walter Hill est de la sorte épanouit dans un film d'action viril comme il faut, avec des héros suants et des gros plans au ralenti sur des Colts 45. Un film d'action généreux, bien pensé, et avec en prime une musique de Jerry Goldsmith. Vous n'allez pas dire non ?


Le Grand amour, de Pierre Etaix (1969)

Il aura fallu donc attendre que Pierre Etaix ne soit plus pour que je voie son très beau Le Grand amour. Beau, par son humour, évidemment, de comique non seulement burlesque mais en plus visuel dans le sens cinématographique ; beau, par ses personnages, cette illusion de ce petit monde, de cette histoire d'amour irréelle, mais pourtant si vraie, et un brin amère. Le rire est d'autant plus sincère, même si la plupart du temps l'émotion est seulement traduit par un sourire légèrement béat, comme celui qu'affiche Etaix lorsqu'il part en ballade champêtre à bord de son lit motorisé. Quelle inventivité de tous les instants ! Il n'y pas de meilleure leçon pour - une fois de plus - prouver tout l'intérêt formel que l'on peut injecter au sein d'une comédie, et surtout, toute la beauté pure qui peut en ressortir.


42ème rue, de Lloyd Bacon (1933)

Alors que qu'il est actuellement revisité en comédie musicale au Châtelet (adaptation que j'ai par ailleurs trouvée sans grand intérêt), 42ème rue se savoure avec plaisir, sans avoir perdu de sa modernité. Pré-Code oblige, l'intrigue est blindée de sous-entendus graveleux et laisse la part belle aux gambettes. Les dialogues sont absolument délicieux, percutants et plein de dynamisme, grâce aux personnages attachants que prend justement la peine de créer l'histoire. Quant à la partie musicale, il y a de quoi faire entre les chansons qui subsistent en tête, et les créations visuelles uniques de Busby Berkeley façonnent complètement la portée cinématographique. L'acte final est débordant d'ambition, mais n'empiète pas sur la beauté des personnages. "You're getting there as a youngster, but you've got to come back as a star !" : quelle émotion à ce moment-là !



Un Homme et une femme, de Claude Lelouch (1966)

La ressortie d'Un Homme et une femme, Palme d'Or du Festival de Cannes de 1966, est non seulement l'occasion de (re)découvrir une sublime romance, mais aussi de se rappeler à quel point Claude Lelouch était, mine de rien, un grand formaliste. Son scénario est d'ailleurs le prétexte parfait pour tous les débordements cinématographiques qui lui sont chers : une séquence de course voiture, du noir et blanc, du teinté, l'aube sur les planches de Deauville... Le film aurait pu être, par ailleurs, un simple exercice de style virtuose, mais Lelouch a le bon sens de ne jamais perdre de vue ses protagonistes, leur relation et surtout les superbes acteurs qui sont derrière. On serait bien tenté de dire que l'alchimie est parfaite, mais c'est encore autre chose, puisqu'il se crée entre les deux une passions dévorante assortie d'un espace gênant, qui façonne évidemment le côté tragique de l'histoire. Le dénouement final est alors d'autant plus poignant. Grande histoire, grand cinéma, grand film. Et, pour l'anecdote, c'est aussi l'occasion d'apercevoir un tout jeune Antoine Sire, auteur du récent livre "Hollywood, la Cité des femmes".


Gueule d'amour, de Jean Grémillon (1937)

Un film surprenant autant qu'il est beau. Dans son documentaire Voyage à travers le cinéma français, Tavernier défendait justement de la diversité de jeu de Jean Gabin. Gueule d'Amour en est le parfait exemple, de ce récit aux personnages attachants, qui démarre comme une comédie, évolue en romance, puis en drame, enfin en complète tragédie. Tout s'enchaîne avec un naturel brillant, sans que les ruptures de ton ne paraissent artificielles. Jean Grémillon sait filmer la transition psychologique du personnage de Gabin, passant de coureur de jupons notoire à pauvre bougre castré par l'amour de sa vie. Le duo Gabin / Mirelle Balin est superbe, iconisé dès les premiers plans de la rencontre. Certes, on ressort un peu mal de cette histoire de cœurs brisés, sans avoir vu venir le coup de poing final : tant mieux, quelque part, c'est tout ce que l'on cherche.


Deux hommes dans la ville, de José Giovanni (1973)

On ne se remet pas de sitôt d'une épreuve comme Deux hommes dans la ville. Indépendamment du sujet, il y a d'emblée un certain nombre d'éléments qui rendent le film incontournable : Gabin/Delon, évidemment (à noter cette interview d'époque très drôle de Delon, où ce dernier explique "l'intérêt de Deux Hommes dans la ville... c'était que Delon produise Gabin"), une furtive confrontation, plus inattendue, Delon/Depardieu, ou encore l'immense musique de Philippe Sarde. Mais évidemment, le sujet et son traitement son au cœur du chef-d’œuvre, colossal réquisitoire contre la peine capitale, filmée au plus près car après tout Giovanni a lui-même séjourné dans le couloir de la mort. Avec Delon, ils donnent d'eux-mêmes pour désacraliser cette idole charismatique et rendre d'autant plus humaine, palpable, l'humiliation, l'indignation, la colère, la peur. Il n'y a même plus de mots pour qualifier les dernières minutes, sommet du tragique, d'un engagement politique et artistique bouleversant, porté par certains des meilleurs artistes que l'on a jamais eu en France. Il fallait au moins cela.


La Colline des potences, de Delmer Daves (1959)

Revisionnage.

N'y allons pas par quatre chemins : je pense que La Colline des potences est non seulement l'un des meilleurs westerns tournés, probablement le meilleur film du génial Delmer Daves, mais aussi un remarquable chant du cygne d'Hollywood classique et de Gary Cooper. L’ambiguïté morale de tous les personnages y est absolument fantastique, d'autant avec la manière avec laquelle Daves s'empare du thème de la communauté américaine en pleine frénésie de l'or. Bien entendu, le couple Cooper / Maria Schell, une fois de plus magnifique, tient avec un brio rare le haut de l'affiche, mais Daves ne se détourne pas des géniaux personnages secondaires qui orbitent autour, notamment celui de Karl Malden. Fin du classicisme oblige, c'est un film plein de doutes, de non-dits, de violence souterraine. En l'espace de quelques années, Gary Cooper a perdu ce physique du héros vertueux, ici beau mais incertain, vieillissant, déjà gangréné par la maladie - il décède deux ans plus tard. Tant qu'à faire, pour compléter la liste des superlatifs, une fin, étrange, bouleversante, inattendue, parmi les plus somptueuses qui soient.


Les Fragments d'Antonin, de Gabriel Le Bomin (2006)

Tout petit film sur la Première Guerre Mondiale, discret et intime, Les Fragments d'Antonin pourrait déjà s'apprécier comme un beau complément sur le trauma, par rapport à Un Long dimanche de fiançailles, sorti deux ans auparavant. Ce pourrait être un peu réducteur, mais c'est déjà tout à l'honneur du film de Gabriel Le Bomin, qui s'intéresse particulièrement aux séquelles psychologiques du conflit et abordant des théories médicales complètement nouvelles pour l'époque. Le manque de moyens se ressent éventuellement, sans que cela n'entache vraiment les efforts de reconstitution et surtout la passion du réalisateur pour son sujet, qui n'a pas fini d'être d'actualité. Le côté pompeux de certains dialogues, très écrits, rappelle néanmoins intelligemment le clivage barbare qu'a représenté la Première Guerre Mondiale entre deux époques, celles des idéaux naïfs, et celle d'un présent et d'un futur défigurés à jamais. Un joli effort qui mériterait peut-être d'être redécouvert, d'autant plus qu'il est porté par une belle galerie de personnages secondaires (interprétés Niels Arelstrup, Aurélien Recoing ou encore Yann Collette).


Une Histoire simple, de Claude Sautet (1972)

Chez Claude Sautet, l'équation est limpide : simple donc vrai ; vrai donc beau. Une Histoire simple, comme à l'accoutumée, ne s'encombre d'aucun artifice susceptible d'éloigner le spectateur de l'intensité dramatique de l'histoire et de ses superbes acteurs. Sautet a toujours su filmer au plus près, avec une discrétion littéralement émouvante. Cette chronique de déboires sentimentaux commence néanmoins sur les chapeaux de roue, avec une séquence d'avortement que l'on se prend de pleine face (mais avec une intensité très différente de celle d'Au Seuil de la vie, qui commence de la même manière), portée de long en large par Romy Schneider. Encore une fois, Sautet est capable, sans avoir à réellement montrer, de tout faire passer par la mélancolie du regard de ses actrices. On renoue une fois de plus avec les non-dits, les hontes intimes qui font s'auto-détruire les personnages, ces si beaux personnages, à a fois si doux, si pathétiques, parfois si brutaux, à l'image de celui campé par Claude Brasseur, autant méprisable qu'attachant, car Sautet, subtil, se réserve bien de tout jugement.


Loving Memory, de Tony Scott (1971)

On ne se souvient guère du regretté Tony Scott pour ses débuts dans le cinéma d'art et d'essai britannique, et pourtant Loving Memory est une superbe œuvre "de jeunesse" (à l'instar de son précédent court-métrage, le fantastique One of the Missing). D'apparence, on pourrait croire que le film n'a rien à voir avec ceux qu'il fera plus tard, et pourtant bien des choses sont déjà là : le soucis plastique (les décors et la photographie sont ébouriffants), l'intérêt pour le prolétaire, la déconstruction d'une temporalité classique par des effets de montage... L'extrême sobriété de l'ensemble fait éventuellement toute la différence, conjuguée à une langueur certaine qui façonne complètement le travail d'ambiance convoité par Scott. En entremêlant éléments de beau et de malsain, Scott cherche d'ores et déjà à créer un style cinématographique qui a pour but de faire sortir le spectateur de sa zone de confort. Belle réussite.


Pale Rider, le cavalier solitaire, de Clint Eastwood (1985)

Revisionnage.

Souvent un peu oubliés face aux plus connus et reconnus L'Homme des hautes plaines, Josey Wales ou encore Impitoyable, parmi les réalisations westerniennes de Clint Eastwood, Pale Rider est pourtant l'un de ses films les plus achevés et les plus majeurs. Avec une itération biblique du western crépusculaire, Eastwood embrasse la mythologie au premier degré et transcende toutes les figures et thèmes qu'il présente : le héros de nulle part, évidemment, mais aussi la communauté, l'Amérique corporatiste, le Bien et le Mal comme ensemble de zones grises. Eastwood a tout de même réussi cette performance de créer, dans ses quatre westerns, des héros solitaires qui s'apparentent au même archétype, et qui pourtant sont d'un film sur l'autre radicalement différents, dans leur objectif et leur signification. La subtilité eastwoodienne l'empêche par ailleurs de sombrer dans l'excès de style, alors que l'approche presque mystique de son histoire pourrait s'y prêter - c'est tout de même l'un de ses films les plus réussis esthétiquement. Tout est brillamment sous-entendu, comme c'est ici finalement l’œuvre d'un grand classique croisé d'un grand moderne. Eastwood, tout comme son cavalier solitaire, a de quoi rester insaisissable...


Sérénade à trois, d'Ernst Lubitsch (1933)

Quoi de plus délicieux que le cinéma hollywoodien classique lorsqu'il se penche sur l'indécence sexuelle ? Sérénade à trois, c'est évidemment tout l'amour de Lutbitsch pour la suggestion et le sous-entendu. D'emblée, on pourrait croire à un trio déséquilibré dans la mesure où il n'est pas aisé pour Fredric March de tenir tête à Gary Cooper, mais l'écriture du scénario, très savamment équilibrée, remédie largement à cela, tout en laissant la part belle à Miriam Hopkins. Quand bien même le film est relativement bon enfant autour de son concept, le récit creuse tout de même un enjeu dramatique pour approfondir ses personnages et travailler, encore, les sous-entendus. On pourrait largement attendre un final correct dans un sens moral puritain, mais Lubitsch l'esquive avec un panache sans pareil l'espace d'une poignée de répliques... "but I'm no gentleman !" est à ressortir en toutes circonstances.


Reflets dans un œil d'or, de John Huston (1967)

Revisionnage - version dorée.

Parmi les différentes versions de Reflets dans un œil d'or (noir et blanc, couleur, chromée), je n'avais vu que celle en noir et blanc. C'est impressionnant de se dire à quel point le simple choix esthétique de la fameuse version dorée, originellement souhaitée par John Huston, bouleverse toute l'appréciation du film tant l'atmosphère change, ou tout du moins, est complètement exaltée. C'est par ailleurs là où le procédé photo-chimique développé par Huston et son chef opérateur Aldo Tonti est brillant : ça n'est pas qu'un filtre jaune, la gamme chromatique étant suffisamment travaillée pour créer cette esthétique indescriptible, incertaine, contribuant largement au génial malaise ambiant. Huston détourne brillamment le classicisme hollywoodien au travers de quelques fulgurantes ultra-modernes voire même déviantes, en faisant de même dans son filmage de l'impuissant Marlon Brando face à  savoureuse Elizabeth Taylor. Un film totalement hors-normes de la part d'un réalisateur qui ne sera jamais resté sur ses acquis.


Les Croix de bois, de Raymond Bernard (1932)

A certains égard, on pourrait penser que Les Croix de Bois est le pendant "réaliste" de J'Accuse d'Abel Gance, ou alors une sorte d'équivalent de l'adaptation d'A l'Ouest rien de nouveau par Lewis Milestone. C'est un film totalement bouleversant par la modernité de son approche qui traduit une vérité quasi-documentaire des plus terrifiantes. Toutes les scènes de vie et anecdotes de front sont absolument magnifique dans la description qu'elle font du quotidien infernal, et absurde, tellement absurde - à l'instar de cette séquence où les soldats écoutent, depuis leur dortoir, les Allemands creuser un tunnel juste en-dessous. Héritant de l'inventivité des cinéastes du muet, Raymond Bernard travaille une mise en scène terrassante d'avant-gardisme, dans son découpage ou ses mouvements d'appareil, parfois très brutaux et en caméra épaule. Les images fortes ne manquent pas, et ce, dès le premier plan, posant le ton. Le cérémoniel autour de la plaie encore béante du conflit est touchant et fait avec simplicité, notamment dans la scène de l'Avé Maria. Grand film de guerre.


Les Forçats de la Gloire, de William A. Wellman (1945)

Référence du film de guerre, sobre, poignant, documentaire, Les Forçats de la Gloire n'a pas perdu une once de sa modernité. Wellman a toujours certes été un moderne, mais ici son film possède une force de l'authentique qui est absolument bouleversante - celle-là même qu'on retrouvera, quelques années plus tard, chez Samuel Fuller. Il y a quelque chose de sublime dans cette capacité à susciter l'émotion chez les personnages, au milieu du front, sans artifices du mélo, sans exagération dans le récit. Le film est naturellement très émouvant, dans son mélange de cruel et de beau. C'est l'alchimie la plus équilibrée à développer, et c'est par ailleurs ce qu'a bien compris une série comme Frères d'armes. Il est aussi exaltant de voir Robert Mitchum s'imposer avec un pareil naturel comme star, absorbant tout le magnétisme possible sans pour autant écraser les autres très beaux rôles, dont, évidemment, celui d'Ernie Pyle tenu par Burgess Meredith. L'excellent complément qu'est Bastogne, sorti quatre ans plus tard par le même Wellman, contribue à forger un sublime diptyque filmé au plus près des soldats.



Que la bête meure, de Claude Chabrol (1969)

Cultiver l'art du malaise dans un film est loin d'être émouvant, mais lorsque tous les ingrédients sont savamment dosés (mise en scène, direction d'acteurs, dialogues...), le résultat peut-être d'une intensité fantastique - fantastique au sens qu'on le vit presque mal. Que la bête meure permet à Chabrol de vérifier cette sordide équation tout le long de son film. Dès le début, forcément, brut de décoffrage, mais encore plus lorsque Jean Yanne surgit dans le récit, cultivant ni plus ni moins l'un des personnages les plus humainement affreux du cinéma. Pas de doutes : il faut qu'il meure. On ne souhaite que cela. Ce sentiment communicatif injecté par Chabrol est complètement déstabilisant. Mais le scénario est malin et ne s'en tient pas simplement là, il applique ses personnages secondaires, leur relation, la tragédie de l'histoire et son ton du réel. Quelle claque malaisante !


L'Enfer, de Claude Chabrol (1994)

Il y a de quoi être dubitatif face au projet de Chabrol, cherchant à ressusciter l’œuvre inachevée d'Henri-Georges Clouzot. Peut-être parce que je n'en attendais pas grand chose, j'ai été absolument pris à la gorge par la force avec laquelle Chabrol s'empare de L'Enfer, ce qu'il arrive à faire de son casting et le ton, une fois de plus malaisant, qui émane de son adaptation. Béart est fantastique. Évidemment, c'était sa grande époque, elle est ici incroyable comme elle l'est chez Sautet. On croit dans son personnage, dans sa sincérité, dans sa beauté, ce qui rend sa relation avec le personnage de François Cluzet d'autant plus passionnée puis, évidemment, tragique. Parlons-en, de ce dernier : Chabrol joue merveilleusement bien de son côté un peu banal, un peu pauvre type colérique. Il en extrait une densité absolument inquiétante. Le sentiment d'ignominie devant la destruction du couple est étouffant. Chabrol insère quelques effets de style hitchcockiens bien vus car peu appuyés, ne perdant jamais de vue l'essentiel de la relation entre ses deux comédiens. Et au cas-où l'information ne serait pas assez bien passée : Béart, Béart, Béart... !


Le Cid, d'Anthony Mann (1961)

Revisionnage.

La version du Cid par Anthony Mann m'a toujours fait un remarquable effet, devant l'ampleur de cette fresque traditionnelle, mais plus encore son intensité dramatique. C'est là du pur Charlton Heston, intense, caverneux, mâle alpha. C'est peut-être là où le choix d'Anthony Mann - alors évincé de Spartacus, est intéressant pour la réalisation : évidemment, c'est d'apparence moins personnels que ses westerns âpres ou autres films noirs, mais il renforce non seulement la dimension tragique, charismatique voire même politique de l'Histoire originale. A la manière du plus tardif La Chute de l'Empire romain, Le Cid se télescope (ici plus légèrement) avec le spectre de la Guerre Froide, avec la question du fanatisme et de la peur de "l'autre". N'en reste pas moins une sublime épopée, large dans tous les sens du terme, formellement sidérante (ce violet !), grandiose notamment grâce à la musique bouleversante de Miklós Rózsa, et puis ce final, quel final... ! "Mon Roi et moi" glace le sang par sa pure beauté.


L'Ombre d'un homme, d'Anthony Asquith (1951)

J'ai beau adorer Truffaut, je lui en ai toujours un peu voulu d'avoir été si catégorique sur le cinéma britannique, dont il refusait l'existence ou tout du moins l'intérêt. L'Ombre d'un homme est un superbe exemple de drame purement britannique, qui n'aurait absolument pas la même résonance dans le cinéma américain. Certes, on pourrait penser à un équivalent du beau Graine de violence, mais ici la réflexion n'est pas tant portée sur le système éducatif en lui-même, ou la jeunesse, mais l'enjeu se centre davantage autour de la transmission du savoir et le métier de professeur. Anthony Asquith créé, avec Michael Redgrave, un personnage absolument incroyable. Les nuances apportées sont à l'image du travail photographique, sublime, parfois très contrasté, aux noirs très profonds, mais avec une gamme de gris remarquable. Le film est complètement tragique mais ne perd pas nécessairement le fameux flegme, ce qui le rend d'autant plus attachant. Une superbe découverte, merveilleusement écrite, réalisée, interprétée.


Grizzly Man, de Werner Herzog (2005)

Une histoire aussi singulière que celle de Timothy Treadwell ne pouvait être qu'un appel pour la caméra de Werner Herzog. Grizzly Man pose toujours un peu les enjeux de cette éternelle quête de la pulsion de mort, celle-là même qui attire (voire excite ?) Herzog. Marcher sur les traces de Treadwell permet de croiser toute une galerie de personnages complétant un tableau qui est résolument beau par son absurde sans limites. Les scènes avec le légiste, horribles, décalées, sont incroyables. Herzog, qui a toujours son opinion sur tout, va également chercher celles des autres à propos des mésaventures de Treadwell et de sa compagne. L'occasion, aussi, de faire un petit tour d'horizon d'une certaine Amérique. Le montage effectué avec les rushes de Treadwell révèle toute la magie tragique de l'histoire - Herzog s'en empare avec une "facilité" déconcertante. Grand Herzog, grand documentaire, grand film.


Leçons de Ténèbres, de Werner Herzog (1993)

Devant la sidération des images de Leçons de Ténèbres, j'ai immédiatement repensé aux photographies des mêmes évènements par Sebastião Salgado, captant parfois certaines mêmes anecdotes de terrain ou compositions, que Wim Wenders remettait par ailleurs "en scène" dans Le Sel de la Terre. C'est là du Herzog dans toute sa gloire : grandiose, pompeux, extatique, "fascistoïde", comme on a auparavant aimé le cataloguer comme tel - le syndrome du fameux germain un peu trop en extase devant Wagner. Il y a peu d'intervenants, la rencontre principale se faisant avec une mère et son fils, devenu muet devant les horreurs dont il a été témoin. Herzoig broie la violence du monde avec une force cinématographique incroyable - évidemment, la Marche Funèbre de Siegfried (entre autre) n'y est pas étrangère. Balayant le paysage avec des images faite en hélicoptère, Herzog filme la terre entière s'embrasant. A plus d'une reprise, on est bouche bé, quelques minutes durant. Par ailleurs, Herzog a toujours cette capacité à trouver des anecdotes dont lui seul à le secret, comme ces pompiers, qui, une fois le feu éteint, rallument le puits, faute de savoir quoi faire d'autre. Quelle expérience ! De quoi repenser un peu à Mad Max : Fury Road : "who killed the world ?"


Derrière le miroir, de Nicholas Ray (1956)

Revisionnage.

Les films de Nicholas Ray sont souvent d'une maturité morale tout à fait remarquable. Derrière le miroir ne ménage pas son spectateur devant la sinistre destruction d'une cellule familiale, remettant par ailleurs en cause la figure patriarcale que représente, dans un premier temps, le génial James Mason. Les films d'Hollywood classique abordant certains débordements psychologiques sont souvent résolument délicieux (un à conseiller parmi d'autres : Pêché mortel, de John M. Stahl), d'une part par tous les efforts appliqués à la mise en scène qui ne rend pas tout explicite ou aplati, d'autre part pour le soucis des personnages et, souvent, les brillants acteurs derrière. Barbara Rush tient ici, tant bien que mal, superbement tête à James Mason, d'autant plus lorsqu'elle est épaulée par Walter Matthau. Le torrent du récit ne laisse aucun réel répit tant l'écriture est savamment orchestrée, jusqu'au climax de l'acte final. Et puis ce scope, on ne s'en lasse pas !