mercredi 27 janvier 2016

[Avis en vrac] L'Amérique en guerre

L'Amérique en Guerre (1942-1946)

Retour sur le passionnant coffret L'Amérique en Guerre qui regroupe une série de documentaires filmés et montés pendant les affrontements, produits par le Département de la guerre (dont la série Why we fight). Originellement, ils étaient destinés aux troupes Alliées avant de s'ouvrir ultimement vers un public plus large en vue d'une sensibilisation globale. Divers grands réalisateurs (Capra, Huston, Ford, Wyler et d'autres...) sont passés  à travers les dix sept films présentés ci-dessous, parcourant de la sorte le globe et les diverses grandes étapes ayant mené au conflit et à sa résolution.

Plus qu'une curiosité du cinéma de propagande, c'est un récit documentaire (forcément partial, parfois partiel) aux images souvent fortes, et à l'engagement, bien que discutable, qui n'est que le reflet le plus passionnant de l'Histoire. C'est un regard biaisé éventuellement plein de justesse, bouleversant ou d'autres fois peut-être légèrement grotesque dans l'exagération qu'implique son engagement politique. Mais, par la révolution cinématographique qu'elle amène dans la conception du documentaire de terrain et sa participation à l'élaboration de nouveaux codes du cinéma de guerre, c'est une série définitivement immanquable, autant pour les cinéphiles que pour les amateurs d'Histoire.



Prélude à la Guerre (Frank Capra et Anatol Litvak) revient sur les circonstances qui ont conduit l'Europe et l'Asie vers les dérives nazies, fascistes et impériales. Ludique, il décrypte les dictatures en train d'émerger, leur mode gouvernemental et leurs intentions politiques, évidement opposées aux bienveillants et démocratiques États-Unis. Les images capturées de l'Europe des années 30 sont édifiantes, même si, évidemment, le documentaire omet quelque peu de détailler comment les vainqueurs de la Grande Guerre sont significativement responsables de la ruine des perdants, terreau du conflit à venir.



Les nazis attaquent (Frank Capra et Anatole Litvak) se centre donc sur la stratégie allemande. Une fois de plus, l'approche du documentaire est extrêmement ludique, forte de schémas très bien pensés pour comprendre l'enclenchement de cette (redoutablement bien pensée) machine de guerre. Un peu de redite par rapport à l'épisode précédent, et d'ailleurs celui-ci enfonce encore davantage le clou sur le peuple allemand (ici, tous les Allemands sont nazis, pas de doutes !). Peut-être moins instructif, mais toujours intéressant.

Fiche Cinelounge


Diviser pour régner (Frank Capra et Anatole Litvak) explore les divers front entrepris par le IIIème Reich. Certaines images sont très fortes, notamment sur l'invasion des Pays-Bas et la destruction intégrale de Rotterdam. L'occasion d'avoir aussi quelques détails plus méconnus, comme la contre-offensive franco-britannique sur le sol belge, enrayée par un exode massif délibérément organisé par les Allemands. Ceci, évidemment, avant de ne voir ces mêmes armées, inaptes à désamorcer les têtes de pont adverses, transpercées.

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La bataille d'Angleterre (Frank Capra et Anatole Litvak) constituait une de mes grosses attentes, notamment pour le culte que je voue au film homonyme de Guy Hamilton. Très légèrement déçu, hélas, car bien que l'épisode soit loin d'être inintéressant, il est peut-être moins riche en anecdotes. Ceci dit, on retrouve ces images désormais bien connues du siège aérien de Londres ou du reste du Royaume-Uni, alors que les plans de la Luftwaffe sont involontairement sabotés par un commandement peu efficace et capricieux.

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La bataille de Chine (Frank Capra et Anatole Litvak) est un film résolument passionnant dans sa description d'une partie de la Seconde guerre mondiale trop peu étudiée. L'invasion de l'empire du milieu par celui du Soleil levant est riche en évènements incroyables, et notamment le théâtre du plus grand exode humain de tous les temps. Le film revient sur la stratégie de défense chinoise, et sur comment, évidemment, leur unité, bien que fébrile, et leur nombre, leur a donné raison. Dommage, cependant, qu'on en fasse des caisses sur les (très) gentils Chinois éternellement agressés par les (très) méchants Japonais, dans un métrage déjà un peu trop long.

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La bataille de Russie (Frank Capra et Anatole Litvak) est avant tout coquasse pour une raison : voire un film officiel du gouvernement américain encenser le mode de vie soviétique, alors vraisemblablement comparable au bon-vivre qui règne en Amérique ! Et évidemment, cette vision du communisme (ici idéalisée façon village des Schtroumpfs) se voit être agressée par les vils voisins fascisto-nazis. Ce haut-lieu de la Seconde guerre mondiale, riche en batailles importantes (dont le siège de Saint-Pétersbourg/Leningrad, et évidemment Stalingrad) voit surtout l'Allemagne s'y casser les dents dans les affrontement les plus meurtriers qui soient. Les images des affrontement urbains et ruraux au sein de l'Union Soviétiques sont une fois de plus incroyables.

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Les Etats-Unis entrent en guerre (Frank Capra et Anatole Litvak) met évidemment les choses au clair avec l'entrée tardive des américains dans le conflit. Leur armée, alors en simili-léthargie (quelques centaines de blindés obsolètes; pour l'exemple), se réveille, les usines tournent à plein régime en prévision des affrontements à venir. A part quelques chiffres intéressants sur ladite armée et sur la sensibilisation du public américain, le documentaire offre moins de matière inédite ou exceptionnelle. C'est le dernier de la série Why we fight.


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Pearl Harbour (John Ford) reflète quelque peu un coup du destin : il a fallu que le plus grand cinéaste américain soit présent à l'offensive la plus connue de la Seconde guerre mondiale. Mais finalement, à défaut d'images incroyables montrant des escadrons entiers d'avions nippons, la caméra de Ford capte surtout le chaos ambiant de l'attaque. Impressionnant de voir ces colonnes de fumées noires (d'un noir inimitable) s'échapper des destroyers ou du croiseur Arizona en train de sombrer. Dommage que le documentaire, jugé trop subversif et trop compatissant vis-à-vis de l'ennemi par l'Etat-Major ait finalement largement été amputé au montage (et c'est la version courte qui est ici présentée). Mention spéciale pour la reconstitution sonore de l'attaque, très immersive.

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Les Aléoutiennes (John Huston) nous plonge dans le conflit avec la force de la couleur. Embarquant avec les bombardiers qui partent faire les raids contre le Japon, on saisit l'ampleur des représailles américaines, organisant sa stratégie de contre-attaque depuis les petites îles du Pacifique. Le documentaire s'attarde sur la base, le déploiement du génie pour l'habilitation du terrain, les équipages des aéronefs, et enfin la mission. S'il est peut-être moins efficace que d'autres, il montre néanmoins ces Américains qui, pour beaucoup, pour la première fois, vont enfin en découdre avec les Japonais.

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La bataille de Midway (John Ford) voit le maître rempiler pour filmer l'une des batailles les plus majeures du front du Pacifique. Hélas, de cet impressionnant combat aéronaval, Ford ne capte surtout le chaos. La plupart des images, capturées çà et là à l'envolée ou alors en caméra embarquée, permettent au mieux de deviner l'ampleur du moment, mais restent parfois assez abstraites. Difficile de blâmer Ford pour cela (le pauvre bougre a même été blessé), mais il signe un épisode que l'on aurait voulu peut-être plus vaste, paradoxe compte-tenu de l'importance de l'évènement qu'il décrit.

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Sachez reconnaître votre ennemi : le Japon (Frank Capra et Joris Ivens) a le mérite d'avoir le titre le plus clair qui soit. Au niveau du ton propagandiste, c'est peut-être le plus prononcé du lot dans ce portrait au vitriol du Japon par les États-Unis. On retrouve donc cette peuplade "bizarre" avec une religion "bizarre", tous plus ou moins fanatiques, tous plus ou moins sans conscience, obéissant à un système féodal qui dépasse l’entendement américain (évidemment, ils n'ont pas vraiment connu ce système). On peut certes passer du rire à l'effroi dans cette description invraisemblable, mais finalement passionnante dans ce qu'elle raconte sur la vision de l'autre. Et après tout, c'est de bonne guerre, c'est le cas de le dire, pour une fois. Peut-être un peu trop long pour ce que le film raconte (répétant des "faits" déjà placés dans de précédents épisodes), mais tout de même une sacrée curiosité.

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Le Memphis Belle, l'histoire d'une forteresse volante (William Wyler) nous embarque à nouveau dans la carlingue de bombardiers. Pas n'importe lesquels, évidemment, puisque c'est le fameux Memphis Belle qui est mis à l'honneur, entre autre, parmi tous les escadrons, dans une importante mission en Allemagne. La description du plan est fascinante, une fois de plus très ludique, et l'ampleur d'un "simple" bombardement est révélée, mobilisant plusieurs centaines d'appareils dont certains uniquement pour la diversion. Le vol est très prenant, alors que l'on voit les petites explosions des tirs de FLAC retentir non loin de l’appareil, toucher celui des camarades. Les moteurs d'un avion voisin prennent feu, s'éteignent, il perd de l'altitude, un homme saute, puis deux, puis trois... On ne sait pas pour les autres. L'ampleur du réel de ces images est terrifiante, et on est bien heureux de revoir le sol britannique, alors que la base attend, patiemment, un à un, le retour des escadrons. Très impressionnant. Le film a d'ailleurs coûté la vie à un des opérateurs de Wyler.

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Thunderbolt (William Wyler et John Sturges) rate quant à lui plutôt le coche. Moins prenant que le précédent à propos du Memphis Belle, celui-ci a pourtant un sujet tout autant de valeur, avec ces chasseurs-bombardiers qui font office de tête de pont en Italie. Ceci dit, le résultat est curieux : ambiance Club-Med à l'aérodrome de l'escadre, tout le monde semble bien heureux alors que la voix-off en fait des tonnes sur le bon-vivre qu'implique faire la guerre en Italie. La mission dévoilée ne contient pas spécialement plus d'action, se résumant à une destruction d'objectifs sans résistance. Plus étonnant : les objectifs remplis, les pilotes vont chacun de leur côté faire des cartons dans la campagne italienne, sur les trains qui passent, ou même des maisons plus ou moins au hasard. Un peu discutable sur le plan moral. Mais compte-tenu de l'objectif du documentaire, inciter à l'engagement dans l'armée de l'air, le film ne rate peut-être pas tant que ça sa cible. Et puis il offre, tant qu'à faire, de très belles images aériennes des paysages italiens.

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La Bataille de San Pietro (John Huston) est sans aucun doute le plus violent des documentaires. Au sol, avec les GI's en Italie, il évoque la prise de collines et d'un petit village très fermement défendus par la Wehrmacht, susceptibles d'ouvrir la route vers Rome. Les combats sont d'une fureur intense. Les morts à l'écran, marquantes, sont également nombreuses. Au milieu du chaos de l'affrontement, il faut essayer de respecter la stratégie mise en place, contourner l'ennemi dans des assauts simultanés à plusieurs endroits. Un des films les plus édifiants de la série, et un des meilleurs témoin de l'incomensurable violence des combats au sol.

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Que la lumière soit (John Huston) aborde un sujet passionnant et longtemps resté tabou : les blessés psychologiques. Et pour cause, le film a été censuré jusqu'en 1980. Au sein d'une unité psychiatrique réservée aux troupes combattantes, on découvre donc ces blessés qui ne peuvent plus marcher sans que leurs jambes ne soient affectées, d'autres qui ont perdu la parole ou qui peuvent s'effondrer moralement à tout moment. Par diverses cures (notamment l'hypnose) on essaye de les guérir. Certains entretiens filmés sont très émouvants. Finalement, le documentaire n'est guère encourageant pour un film de propagande, même si son dénouement se révèle heureux. Mais l'ampleur esquissée de la blessure psychologique que représente la guerre moderne est puissante. Et toujours d'actualité, d'ailleurs, à l'heure où les conflits en Irak et en Afghanistan ont fait se suicider plus de soldats qu'il n'en est mort sur le terrain.

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Les camps de concentration nazis (George Stevens) a le mérite d'être possiblement le documentaire le plus honnête que j'ai vu sur son funeste sujet. Difficile de faire plus neutre que le film de Stevens : des images sans musique, sans illustration sonore particulière, une voix-off neutre qui récapitule ce que l'on voit à l'écran et explique les différents mécanismes. Malgré sa "courte" durée (moins d'une heure), le film est quelque part très synthétique et un minimum exhaustif, abordant de nombreux camps et leurs différentes victimes (sans distinction aucune), avant de les confronter au peuple allemand. Toute cette sobriété est évidemment bouleversante, car le réel a été le moins possible manipulé. Et pour cause, d'ailleurs, le film se targue d'avoir fait appel à un superviseur d'effets spéciaux hollywoodien, attestant de l'authenticité des images pour les spectateurs les moins crédules. C'est dire.

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Le procès de Nuremberg (Stuart Schulberg) n'est sans doute pas la retranscription idéale de l'évènement qu'il décrit : une demi-heure est consacrée à une remise en place des circonstances de la guerre, trop superficielle pour avoir réellement de l'intérêt et le reste du documentaire survole au possible le procès. Les passages les plus intéressants, comme la compréhension du mécanisme étatique d'une telle dictature, sont rapidement résumés. L'ampleur du procès n'est pas réellement retranscrite. Bien que le lot d'images fortes soit là, à la fois celles d'archive et celles notamment filmées par John Ford au cours de l'audience, l'intérêt du film est limité dans le temps, car conçu avant tout comme une vulgarisation pour sa propre génération. Pour plus d'exhaustivité, il faut sans doute préférer le documentaire de Nuremberg à Nuremberg, ou alors, dans la fiction, Jugement à Nuremberg de Stanley Kramer, pas exactement sur le même procès, mais aux enjeux tout aussi importants.

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