'71, de Yann Demange (2014)
'71 apparait comme thriller d'action sur fond de guerre savamment emmené. Le contexte fonctionne à merveille et l'atmosphère chaotique de Belfast propose une réelle originalité dans le genre. Le film est très simple, parfois aux dépends de la subtilité, tout en servant constamment son efficacité. L'héritage de Paul Greengrass n'est jamais loin, mais l'intelligence dans la démarche du réalisateur est d'avoir réellement compris l'essence de cette influence, plutôt que de bêtement singer, comme tout le monde le fait, ces effets de caméra qui vont dans tous les sens. Le dosage avec précision de '71 est redoutablement bien maitrisé, d'autant plus pour un premier long-métrage. En parallèle, le film va plutôt au bout de son propos, et ne recule pas face à la violence de ses thèmes. Tout se suit de manière fluide, sauf peut-être un dernier acte au rythme moins soutenu, bien que l'action représentée soit toujours intéressante.
En somme, une belle petite percée dans le cinéma que nous délivre Yann Demange, le genre de production sur lequel nous pourrions prendre quelque peu exemple en France, à l'heure où pour le dernier bon "film de guerre" produit, il faut remonter à L'Ennemi Intime en 2005...
Mention spéciale pour la très belle photographie en 16mm !
Énième adaptation des mémoires de Casanova, portée ce coup-ci par une "fausse bonne idée". Casanova Variations alterne des mises en abîmes, ou plutôt des variations justement, entre le déroulement d'une représentation de pièce d'opéra et l'action qui y est littéralement représentée, des phases se déroulant directement au XVIIIème siècle. Les premières sont désespérément sans intérêt cinématographique, à tel point que l'on a, au mieux, simplement envie de voir la pièce en question, le deuxième sont d'un manque d'inspiration déconcertant. Tout au long du film on se demande quel est l'intérêt de cette adaptation, quel est le fond, que veut-elle nous raconter. Malkovich est en roue libre, réitérant d'une certaine manière son rôle de Valmont, alors que l'on se dit qu'en effet, le projet aurait été intéressant dans les mains de Stephen Frears, ou encore de Joe Wright, ayant réussi avec virtuosité la mise en abîme d'une pièce dans Anna Karénine. Casanova Variations est hélas juste vain et ennuyant.
Ressortie en salles.
De Ladykillers, je n'avais vu que la version peu convaincante des Coen, et j'attendais beaucoup de l'original. Aucun doute sur le fait que l'on tienne une comédie anglaise déjantée comme on les aime, à l'humour passant par tous les extrêmes, du subtil au bien gras. La loufoquerie de l'ensemble me rappelle Blake Edwards avant l'heure, peut-être d'ailleurs que la présence de Peter Sellers n'est pas étrangère à ce sentiment. Évidemment, cela reste quand même Alec Guinness qui est la grande attraction du film, dans ce rôle improbable et hilarant, rien que sa tête marque déjà le coup. On pourra toujours reprocher un rythme éventuellement imparfait ou encore quelques séquences en deçà, mais l'entrain de l'ensemble se savoure avec un plaisir rare grâce à des personnages judicieusement écrits et mis au bon moment en avant. Voilà qui devrait ravir les amateurs de comédies venues du pays des buveurs de thé, pouvant même profiter de la ressortie au cinéma, notamment grâce au Champo qui fait une petite rétro Alec Guinness.
Ressortie en salles.
Classique parmi les classiques, évidemment, Massacre à la tronçonneuse n'en reste pas moins toujours d'actualité, à l'heure où le genre horrifique est en pleine perdition artistique et s'embourbe dans une majorité de productions putassières, sans âme et sans idées. Tout est très moderne dans le film de Hooper, et pourtant la recette de son efficacité semble échapper aujourd'hui, tant aux films qu'au public d'ailleurs (j'y pense car quelques clampins dans la salle où je l'ai vu étaient vraisemblablement venus dans l'optique de rigoler devant un vieux nanar). Pourtant tout est concis, direct et intelligent dans Massacre à la tronçonneuse. Le film n'oublie pas d'instaurer avant tout une ambiance, d'ailleurs remarquablement bien aidée par des "catalyseurs sensoriels", notamment dans la piste son, qui semblent hériter en droite lignée d'une tension hitchcockienne. Hooper ne manque pas d'oublier que ce qui marque, ça n'est pas tant la violence physique, mais bel et bien le trauma psychologique.
Ressortie en salles.
Un Rappeneau frais et dynamique comme à l'accoutumée, La Vie de château est évidemment porté notamment par le très beau duo Deneuve/Noiret, mais aussi par tout une galerie de seconds rôles vraiment savourables. Le regard bon enfant et comique sur l'Occupation depuis la bourgeoisie rurale s'accorde avec tout un lot de bonnes idées, dont le succès motivera par ailleurs La Grande Vadrouille, produit peu après. Évidemment tout est assez léger, si ce n'est même parfois assez bas de plafond, mais l'écriture, signée notamment par Claude Sautet et Alain Cavalier (rien que ça !) finit par remporter l'adhésion et concilie le drôle avec le beau. Une fois de plus, merci Rappeneau !
J'Accuse, d'Abel Gance (1919)
Ciné-concert à la salle Pleyel.
C'est impressionnant. Il n'y a pas d'autres mots. J'Accuse est une œuvre totale de cinéma, à tel point que le visionnage en salle parait presque indispensable. L'atmosphère est lourde, l'horreur et la crasse décrite par Gance sentent le vécu. Et pour cause, le souvenir des tranchées est encore frais pour lui qui les a faites. A plus d'une reprise on constate évidemment une inspiration majeure pour Un Long Dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet, tant dans les scènes de front que celles civiles. C'est un gros morceau à digérer, parfois trop lourd, au rythme imparfait, mais souvent trop impressionnant et terrible pour que l'on se pose trop de question. Le dernier tiers, la troisième époque, propulse le film dans une autre dimension, et le fameux chapitre du "Debout les morts !" est d'un marquant rare, mettant en scène ce trauma de la guerre, cette fin brutale des idéaux du XIXème siècle qui viennent hanter les vivants, croyant que le pire est désormais derrière. On n'en ressort pas indemne.
Un petit mot sur le nouvel arrangement musical composé pour la projection : les sonorités sont parfois très intéressantes et s'accordent dans l'ensemble avec le fond du film, mais sont souvent brouillonnes voire trop agressives. La troisième partie reste la mieux composée.
EN VIDÉO
Les Innocents, de Jack Clayton (1961)
Sans doute à mettre aux côtés d'autres grandes réussites du genre comme La Maison du Diable de Robert Wise, sorti deux ans plus tard, Les Innocents se targue d'une ambiance européenne encore plus appréciable, notamment grâce à cette action placée dans un milieu rural de la grande noblesse britannique. L'atmosphère est aux petits ognons et se travaille sans aucun dispositif putassier : aucun jump-scare ou moment particulièrement agressif : la tension augmente de manière très naturelle tout au long du métrage. En chœur, on est terrorisé avec la pauvre Deborah Kerr (qui vit également un trauma d'angoisse dans l'excellent Le Narcisse Noir de Powell et Pressburger) face à cette grande baraque et ces gamins quelque peu malsains, qui ne manquent pas de préfigurer, sous certains aspects, Damien dans La Malédiction, de Richard Donner. Un grand film d'angoisse qui est une jointure remarquable entre le classique et le moderne, à l'influence littéraire très appréciable.
La Rumeur, de William Wyler (1961)
Même si en 1961, Hollywood classique et ses valeurs sont en plein effondrement, La Rumeur n'en reste pas moins redoutablement courageux de s'attaquer assez frontalement à la question de la relation homosexuelle féminine, d'autant plus en la mettant en scène à travers des icônes. A chaque rôle, Hepburn me fascine par son audace, sublimée devant la caméra de William Wyler. Elle incarne avec brio toute la subtilité qui caractérise l'ensemble de l'écriture. Cela dit, ce serait se mentir de ne pas voir dans Shirley MacLaine la comparse parfaite, éclipsant même Hepburn le temps de quelques séquences. Aux côtés de ces beautés féminines, le toujours très élégant James Garner, dont la détresse face à la situation est d'une grande justesse. La Rumeur est profondément beau mais surtout dur, terrible, et va jusqu'au bout, ne renonce pas à mi-chemin et ne cède pas à la facilité. Le film absolu d'un auteur complet.
Le fils de Rambow, de Garth Jennings (2007)
Sans doute l'archétype du film indépendant qui tient une bonne idée "faite à la main" mais qui n'est pas capable de l'exploiter correctement, Le fils de Rambow est une sacré déception. Pour un film qui traite de la créativité, tout est bien convenu et sans idées originales particulières, passés quelques gadgets répartis avec parcimonie lors d'une heure et demi bien longue. C'est dommage car le concept est tout de même extrêmement sympa et porté par un jeune acteur principal fort bien trouvé, au vrai potentiel. Bien que film britannique, il accumule les clichés caractéristiques et insupportables du cinéma indépendant américain. L'ambition n'est finalement pas vraiment là, aucune envie d'aller plus loin que le concept, de faire un beau film sur l'enfance et la cellule familiale. A plus d'une reprise, on se dit qu'un projet similaire par Michel Gondry aurait été formidable. Oubliable, en plus d'être plutôt ennuyant.
Le Prisonier d'Alcatraz, de John Frankenheimer (1962)
Dans les mains d'un grand réalisateur, le film carcéral a souvent des chances d'être une grande œuvre de cinéma et Le Prisonier d'Alcatraz ne déroge pas à la règle. Encore une fois, Frankenheimer délivre un film à la modernité détonante dans son écriture, partant de postulats classiques et s'en affranchissant au fur et à mesure dans la description de cette histoire aussi improbable que belle. C'est encore un de ces films où Burt Lancaster brille de mille feux et bouffe la pellicule de sa présence... Sans trop en faire, alors que Frankenheimer parvient à équilibrer le tout grâce à des seconds rôles vraiment brillants, pensons évidemment à Karl Malden ou aux apparitions plaisantes de Telly Savalas. Absolument à voir, notamment pour ceux qui avaient déjà apprécié voir Lancaster derrière les barreaux dans le très bon Brute Force de Jules Dassin !
Fiche Cinelounge
Le Trou Noir, de Gary Nelson (1979)
A l'heure où le public s'extasie devant Interstellar, il est bon de se replonger dans Le Trou Noir, cette production Disney de 1979 oubliée mais loin d'être inintéressante. A la manière de L'Âge de Cristal, c'est un film assez kitch mais rempli de bonnes idées, dont certaines se retrouvant curieusement dans le film de Nolan. Rappelons le pitch de départ : l'histoire d'un vaisseau perdu qui étudiait les trous noirs et le voyage interstellaire afin de trouver une nouvelle planète habitable pour l'humanité. Hum. Évidemment, le traitement est bien différent mais Le Trou Noir parvient à se créer un vrai capital sympathie, notamment grâce des séquences spatiales vraiment bien fichues, certains effets spéciaux assez impressionnants, ou encore une partition de John Barry qui fait toujours plaisir. Évidemment, il faut passer outre des personnages inintéressants ou pas très bien traités (comme celui de Maximilian Schell), des scènes d'action pas toujours palpitantes et des robots à l'humour lourd (tiens donc...), mais le moment passé est agréable jusqu'à la fin, complètement perchée mais bien plaisante, d'autant plus dans une production Disney. Quelque part, un film qui préfigure complètement Tron.
Fiche Cinelounge
L'Homme aux Colts d'or est un de ces films qui a un potentiel en or mais l'exploite peu, se retrouvant au final à être un western sympathique mais oubliable. Pourtant, tout est là : le casting, l'idée, l'univers, les personnages et un visuel absolument remarquable en scope. Malheureusement, si Edward Dmytryk est un formaliste plutôt talentueux, il manque d'étoffe et cela se remarque dans ses films, comme c'était le cas dans Le Bal des Maudits. Peut-être est-ce la censure qui empêche de développer la relation gay sous-jacente entre Henry Fonda et Anthony Quinn, mais d'autres films de la même décennie, comme La Corde d'Alfred Hitchcock, parvenaient à l'exploiter. Alors que le fond est là, présent dans chaque personnage du film, chacun en proie à des dilemmes intéressants, L'Homme aux Colts d'or se suit comme un petit western agréable mais peu audacieux. Frustration ultime : on voit à peine les fameux Colts d'or.
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