mardi 25 novembre 2014

[Critique] Interstellar - Christopher Nolan (2014)

Réalisateur : Christopher Nolan

Scénaristes : Jonathan & Christopher Nolan  

Acteurs : Matthew McConaughey, Anne Hathaway, Jessica Chastain

Directeur de la photographie : Hoyte Van Hoytema

Compositeur : Hans Zimmer

Monteur : Lee Smith

Genre : Science-fiction

Nationalité : États-Unis, Royaume-Uni

Durée : 2h49

Date de sortie : 2014



Synopsis : Le film raconte les aventures d’un groupe d’explorateurs qui utilisent une faille récemment découverte dans l’espace-temps afin de repousser les limites humaines et partir à la conquête des distances astronomiques dans un voyage interstellaire.


"PLANÈTE(S) INTERDITE(S)"

C'est presque l'épreuve incontournable de cette fin d'année : écrire quelque chose sur Interstellar. A la lecture de nombreux articles, la moindre des choses que je puisse dire, c'est qu'il y a matière à faire couler l'encre à propos du film de Christopher Nolan. N'entretenons pas le suspens davantage : Interstellar m'a relativement laissé sur le carreau ; un produit intéressant mais chimérique de tout ce qui peut m'irriter dans le cinéma de Nolan, et qui pourtant disposait de bien des bases pour être plutôt réussi. Une fois n'est pas coutume, les lignes de ce papier contiendront de nombreux spoilers et sont donc, de préférence, réservées à ceux qui ont déjà vu ledit film. Au passage, ce qui va suivre n'est pas tant une critique construite, mais plutôt un faisceau de pensées concernant les réussites et échecs du métrage.

Le dernier-né de Nolan se retrouve donc être une synthèse de nombre de ses obsessions et influences, ce qui lui parle de près ou de loin. Nolan y additionne toutes ses inspirations, avec la froideur presque mathématique qu'on lui connaît. Dans un prologue apparaissant comme une relecture moderne de l'Americana, Nolan entasse ses références fordiennes, spielbergiennes et malickiennes, le tout capté depuis le spectre d'une essence qu'il veut kubrickienne. Dès les premières minutes, l'entassement effectué inquiète : dans un plan où Cooper, interprété par Matthew McConaughey, regarde son champ, Nolan et son comparse Hans Zimmer assiègent leur spectateur avec une note maintenue en référence à Ainsi parlait Zarathoustra. Pour être honnête, c'est dans ce genre de détail que Nolan me perd. On repense ainsi forcément à 2001 : L'Odyssée de l'espace, en se disant qu'au même moment musical, chez Stanley Kubrick, le Soleil, la Terre et la Lune s'alignent. Ceci impliquant autrement plus l'intervention de Richard Strauss, plutôt que de voir McConaughey regarder son champ. Nolan appelle rapidement le spectaculaire alors qu'il paraît presque hors-sujet dans cette revisite spirituelle des Raisins de la Colère. L'émotion est artificielle, mais nous y reviendrons.

Pourtant, aucun doute sur le fait que Christopher Nolan tienne un univers réellement intéressant et une histoire, du moins dans les grandes lignes, qui suscite l'attention. Ce futur apocalyptique aux allures bibliques, faisant littéralement retourner la Terre entière à la poussière, sied complètement à l'univers qu'il exploite. L'idée est bien trouvée et formellement d'autant mieux portée par Hoyte Van Hoytema, qui rend le changement de directeur de la photographie gagnant pour Christopher Nolan, jadis accompagné par le plutôt insipide Wally Pfister. L'ensemble est plutôt sobre et le 35mm respire naturellement, retranscrivant l'atmosphère de particules que souhaite décrire Nolan. Hélas, ce genre de détail simple et beau ne parvient pas à survivre dans l’œuvre du cinéaste, compressé par la constante obsession à vouloir être autre chose que beau et simple.


Nolan peine à faire les choses simplement, et dans sa transposition à l'écran de ses fantasmes, tout se confond jusqu'à parfois un beau gâchis aux allures prétentieuses. On se doute évidemment que son frère, Jonathan Nolan, qui officie en co-scénariste, n'est ni Clarke ni Nietzsche, que Zimmer n'est pas Strauss et évidemment que Nolan n'est pas Kubrick. Pourtant, les filiations sont forcées de manière artificielle, et rendent l'ensemble peu digeste. Nolan semble avoir oublié que c'était dans la simplicité d'Insomnia quil avait été le meilleur, héritant très justement de son maître Michael Mann sans trop en faire. Pour Interstellar, il évoquait Rencontres du Troisième type comme une grande référence. Certes, il en reprend des thèmes, la cellule familiale se retrouve au cœur de ce nouveau film, mais c'est à se demander où est passée la simplicité qui caractérise la réussite du chef-d’œuvre de Spielberg.

L'univers s'enrichit de détails parfois futiles, livrant au mieux quelques informations dispensables. La traque du drone vers le début apparaît juste comme un rouage mécanique de scénario ; ailleurs on nous informe gratuitement qu'Apollo 11 aurait été un canular. Passé ce qui suit directement, l'anecdote censée renforcé le drame du personnage de Cooper, l'univers n'est pas davantage enrichit dans le fond, l'information paraît anecdotique et parasite la simplicité des enjeux. Tout s'emballe à la fin du premier acte et le film de Nolan perd en intérêt dans des détails qui m'interpellent. Voulant reproduire l'effet de la découverte de la Porte des Étoiles dans le film Stargate, le réalisateur emploie un dispositif de mise en scène similaire lors de la découverte de la fusée. Comment ne pas trouver ridicule le fait qu'une salle de réunion donne directement, et sans protections particulières, sur le chantier (si ce n'est même le pas de lancement en fait ?) de réacteurs d'un tel engin ? Le détail est en soit anodin, mais pourtant illustre une caractéristique qui me dérange chez Nolan : l'impressionnant doit prédominer. Et quelque part, dans un cinéma qui se veut parfois très sobre, voire anti-spectaculaire, cette notion peut déranger.

Anti-spectaculaire qui justement cherche à s'exprimer dans la scène du décollage, partiellement ellipsée. Une fois de plus, Interstellar semble avoir le cul entre deux chaises. A contrario de Mission to Mars, qui se passait complètement du décollage via une astucieuse ellipse, le film de Nolan dévoile deux plans serrés en longue focale sur le lancement, très impressionnants, très bruyants, avant qu'un cut nous propulse brutalement dans le silence de l'espace. L'intention dans le montage sonore, oscillant donc entre les extrêmes, est tellement grossière et facile qu'elle énerve, Nolan ayant d'ailleurs recourt à ce procédé à plus d'une reprise dans le film (et ce dès le début, au passage). A Nolan qui citait L’Étoffe des Héros de Philip Kaufman comme un modèle, on peut également demander où est-ce qu'est passé l'héritage des impressionnants décollages qui pourtant n'empêchaient pas de mettre en scène, en parallèle, le caractère tantôt céleste ou tantôt effrayant de l'espace, sans pour autant en venir à des procédés si exagérés. La mini-séquence apparaît soit incomplète, soit de trop (l’ellipse intégrale aurait pu être également valable). Bien dommage, d'autant plus qu'un plan de la bande-annonce d'Interstellar dévoilait assez joliment le décollage d'un appareil en plan large ; classique mais efficace. Évidemment, Nolan n'aurait pas pu mettre en avant son fameux effet. Et hélas pour lui, le cut sonore ne parvient pas à provoquer le même effet naturel que celui de Lawrence d'Arabie lors de la légendaire transition vers le désert.

Dans le périple de son odyssée spatiale, à bord du vaisseau Endurance (dont le rapport avec le navire de Shackleton semble grossier si ce n'est même contradictoire), Christopher Nolan développe néanmoins l'une des meilleures idées de tout le film, une idée profondément simple mais belle. Et c'est bien là que l'on se rend compte qu'il a le potentiel de créer de la véritable matière cinématographique. Le cinéaste met en scène l'espace avec les bruits de la nature : la pluie, le vent, l'orage... Le vide apparaît d'autant plus terrifiant, d'autant plus fascinant : la grandeur convoitée par Interstellar paraît pour le coup touchée. Toute une séquence aurait même pu se baser sur cette idée, qui est hélas oubliée trop tôt. Nolan s'appuie le caractère impressionnant des images de l'espace qu'il capte, jouant sur des rapports d'échelle classiques mais parfois efficaces. La caméra de Nolan, fidèle à son auteur, est plutôt statique et cherche à emmagasiner le maximum de puissance visuelle dans ses plans, mécanisme malheureusement forcé par les excès de Hans Zimmer. Lors du passage dans le trou de ver, évidemment point d'orgue de ce chapitre spatial, on a la désagréable impression de se faire hurler dessus par le metteur en scène. Et également cette désagréable impression d'avoir déjà vu le visuel de cette séquence ailleurs.

Abyss. C'est dans Abyss que j'ai déjà vu le même dispositif visuel, ce grand couloir courbé avec des formes imprimées le long des parois. Je ne condamne pas forcément un auteur de reprendre des idées déjà aperçues dans d'autres films, mais lorsque c'est fait avec toute la pompe de Nolan, ceci me reste en travers de la gorge. Entre inspiration et plagiat, la différence peut évidemment se jouer sur la notion du ressenti, mais l'ensemble m'a trop interloqué pour être totalement innocent. Au banc des victimes, en plus du film de Cameron, on retrouve également Contact de Robert Zemeckis, dans lequel Nolan s'est cordialement servi, mais aussi Le Trou Noir de Gary Nelson et même Sphere de Barry Levinson. Des films qui ont été des échecs, ou bien qui ont simplement été oubliés, par ailleurs. Et le problème s'étend jusqu'à toucher la partition de Hans Zimmer. L'influence Philip Glass est mise en avant. Une fois de plus, dans certaines compositions, on se demande où s'arrête l'influence et où commence le plagiat vis-à-vis l'auteur des musiques de Koyaanisqatsi. Et ainsi de suite pour tous les grands compositeurs que la piste sonore évoque : Jerry Goldsmith et sa partition d'Alien, John Williams et celle de Rencontres du Troisième Type, Michael Stearns et celle de Samsara ou encore, et là c'est inattendu, Lennie Niehaus et celle d'Impitoyable, qui subit pour le coup le plagiat le plus avéré. Zimmer s'embourbe dans des compositions foutraques qui reposent toujours sur un crescendo interminable et finissent dans l'agressivité la plus totale. Tous les corps d'instruments paraissent mixés au maximum pour un résultat éprouvant, loin de la subtilité des maîtres dont il s'inspire.

C'est quelque part d'autant plus gênant lorsque l'on sait que le cinéma de Nolan n'en a pas forcément besoin. La quête poursuivie par Interstellar captive pourtant beaucoup et on ne va pas se mentir non plus sur le fait que le réalisateur de The Dark Knight soit capable d'être assez entrainant. Bien dommage de le voir donc sombrer dans ces écueils, ou encore dans d'autres phases trop didactiques qui parasitent l'efficacité cinématographique. On repense au fait d'assister, deux fois de suite, à une conversation entre deux bac +35 qui s'expliquent (à destination du spectateur bien entendu) comment fonctionne l'espace avec de vulgaires dessins. Et rigueur cartésienne oblige (ad nauseam trop souvent), Nolan ne semble pas avoir confiance dans le potentiel surnaturel de son film. Si le deus ex machina existe dans son cinéma, il n'admet justement pas le côté deus et se perd dans les justifications. Le passage dans la cinquième dimension, rationalisé au possible et s’évertuant à tout relier, achève. Pour un film qui se prévaut d'un regard céleste et qui parle du "pouvoir de l'amour", la vision décrite est bien triste, toute en lignes droites et autres figures cubiques, semblant toute droit venu d'Inception. C'est là où le canon de Christopher Nolan affiche ses limites actuelles, se réfugiant une fois de plus dans l’impressionnant et le didactique sur fond de twist (d'ailleurs anticipé depuis le premier acte du film, trahissant grossièrement son enjeu).

Sur l'autel des sacrifices, c'est également tout le chapitre consacré au docteur Mann (le personnage de Matt Damon, donc) qui y passe. Nolan tisse pourtant les bases de l'un des personnages les plus intéressants d'Interstellar. Car il est presque là, le véritable intérêt : cet homme échoué sur une planète sans vie, prêt à tout pour survivre, et qui est justement devenu fou car il a gardé son humanité. Curieusement, le personnage ne semble pas intéresser Nolan, qui en fait un lâche assez pathétique, au destin funeste plutôt pitoyable. Pourtant tout l'enjeu humain se trouvait là, et une lueur d'espoir m'était apparue lors de son réveil en pleurs. De la même manière, Nolan ne prête aucune attention au personnage de Romily, l'astronaute resté seul pendant plus de deux décades (sommeil cryogénique aidant cela dit) alors que le reste de l'équipage visitait une planète. Il y a là un véritable héroïsme humain, simple mais beau, et jamais Nolan ne s'y penche. Le personnage (comme presque tous les personnages secondaires en fait) orbite vaguement autour du récit et est éjecté le moment venu, dans (malheureusement) l'indifférence la plus totale.

Reste l'émotion que Nolan convoite en faisant articuler tout son film autour de la cellule familiale, comme dit précédemment. Rien n'est inintéressant ou complètement raté, mais les enjeux profonds des relations semblent échapper à Nolan. La séquence qui fait le plus mouche est sans aucun doute les fameux messages laissés pendant 23 ans qui sont rattrapés par le personnage de Cooper. La scène est belle, mais il faut malheureusement subir l'incursion futile de Zimmer pour souligner l'aspect mélodramatique qui était pourtant naturel. Les retours sur Terre, en parallèle de l'aventure cosmique, nuisent au rythme et l'on sent bien trop facilement Nolan construire les enjeux de son mélodrame, tellement appuyé qu'il ne touche même plus.

En écho de cette émotion ratée se trouve le casting deluxe d'Interstellar. Faute de personnage bien écrits, la direction d'acteurs manque de précision. Il faut endurer l'intense cabotinage de Michael Caine, qui choquait déjà dans The Dark Knight Rises, ou encore un Casey Affleck totalement absent de son personnage. Même Matthew McConaughey ne convainc pas toujours, souffrant de la (caractéristique ?) mauvaise direction d'acteurs de Nolan : il parait à plus d'une reprise en roue libre. L'acteur ne semble pas être sur la même longueur d'onde cinématographique que le réalisateur. Et à défaut de la présence de Steven Spielberg derrière la caméra (initialement rattaché au projet d'ailleurs), j'aurais souhaité celle de Jeff Nichols, justement cinéaste du céleste autrement plus apte à comprendre ce genre de personnage, les enjeux et l'univers qu'un cinéaste britannique profondément ancré dans un canon froid et urbain.

L'acte final d'Interstellar semble lui-même inachevé ou mal équilibré, n'allant pas assez loin dans ce qu'il décrit. Nolan retombe facilement sur ses quatre pattes, qui sont hélas celles du convenu, celles d'un cinéaste sage qui ne semble pas désireux de réellement faire face à son public. Désormais comme à l'accoutumée, Nolan signe un nouveau film fait d’illusions, sans aucun doute son plus ambitieux et celui au potentiel le plus intéressant. Mais l'illusion, bien qu'elle soit à la mode et plaise au public ne consiste pas en hurler au visage de son spectateur. A ce sujet-là, Interstellar est l'un des films au mixages les plus agressifs que j'ai vu depuis longtemps. Au terme des 2h50 de film, "l'expérience" est éprouvante, celle d'avoir vu un film trop souvent terne dans le fond et dans la forme, un objet bruyant qui propose parfois de jolies images. On pourrait possiblement dire qu'il s'agit du fruit d'un réalisateur en roue libre, ce qui quelque part peut plaire à certains, ceux qui ont confiance en l'auteur qu'ils aiment. Personnellement, j'y vois le fruit d'un réalisateur manquant de maturité et qui est condamné à répéter les boursouflures qui font son succès.


1 commentaire:

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