Entre le Ciel et l'Enfer, d’Akira Kurosawa (1963) |
ACTUALITÉS - AU CINÉMA
Alien: Covenant, de Ridley Scott (2017)
En revenant à l’expérience séminale et matricielle d’une saga complexe, Ridley Scott développe Alien: Covenant comme une nouvelle chimère. Le fruit de Prometheus n’est finalement pas tant que cela sa suite, davantage élément programmatique d’une nouvelle licence, constituée par autant de parallèles que de croisements. Faisant jaillir de nouveau l’esprit d’une série B acerbe, sans pitié et, d’une manière ou d’une autre, jusqu’au-boutiste dans son esprit, le film de Scott a de quoi déstabiliser ; tantôt brillant, tantôt raté, la création finale est curieuse, comme une manipulation génétique qui a mal tourné, et à laquelle, pourtant, on ne peut soustraire notre regard.
Texte à lire sur ScreenMania :
https://www.screenmania.fr/film-critique/alien-covenant-ridley-scott-2017
Également, un article par mes soins à propos de Ridley Scott et la Bible :
https://www.screenmania.fr/ridley-scott-et-la-bible
Faute d'amour, d’Andreï
Zviaguintsev (2017)
Festival de Cannes - en Compétition.
L’Europe de l’Est aura une fois de plus ébahi la compétition avec toute la rigueur resplendissante de sa cinématographie, qu’il s’agisse des films de Kornél Mundruczó, de Sergeï Loznitsa ou ici d’Andreï Zviaguintsev. Faute d’amour pousse néanmoins plus loin avec la force dramatique de son histoire, variante d’un film de kidnapping où cette fois-ci, les parents sont égoïstes et irresponsables. Enquête macabre mais aussi charge indirecte relativement acerbe sur la petite bourgeoisie, Faute d’amour multiplie ses identités pour se révéler extrêmement prenant et abouti.
Texte à lire sur ScreenMania :
https://www.screenmania.fr/film-critique/faute-damour-andrei-zviaguintsev-2017
Festival de Cannes - en Compétition.
Les films de genre qui s’invitent dans la compétition officielle trouvent toujours le moyen d’être surprenants, à la fois dans la synthèse qu’ils font de leur thème, et aussi leur manière de s’en émanciper. Jupiter’s Moon a toutes les cartes en main : un thème fort, un réalisateur qui a su préalablement s’imposer et par-dessus tout, une ambition qu’on ne peut dissocier de toute la bonne volonté du film. Sous couvert de sa virtuosité, il affiche en même temps les limites de son raisonnement, en faisant un bel objet qui tourne trop régulièrement à vide.
Texte à lire sur ScreenMania :
https://www.screenmania.fr/film-critique/jupiters-moon-kornel-mundruczo-2017
Les Proies, de Sofia Coppola (2017)
Festival de Cannes - en Compétition.
Soyons honnêtes : il est on ne peut plus tentant de coller le dernier film de Sofia Coppola contre un mur et de le fusiller en bonne et due forme. Les Proies pose toutefois la question intéressante d’un remake – ou plutôt d’une nouvelle adaptation, pour ce que cela vaut – d’une précédente œuvre n’en ayant pas besoin, mais dont les thématiques de fond et de forme pourraient coller à la fille à papa préférée de la Croisette. Hélas, Coppola endosse l’habit du moine copiste et singe séquence par séquence l’immense film de Don Siegel. Par chance, l’ersatz ininspiré d’un chef-d’œuvre est un film simplement médiocre, mais pourtant son meilleur depuis
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Texte à lire sur ScreenMania :
https://www.screenmania.fr/film-critique/les-proies-sofia-coppola-2017
Festival de Cannes - en Compétition.
Le sujet de Vers la lumière est peut-être une évidence pour le cinéma solaire de Naomi Kawase, mais il est aussi une respiration bienvenue dans la compétition cannoise. Petit mélo mais grande déclaration d’amour au cinéma, c’est un film à l’énergie communicative, irradiante. Par le traitement de la cécité, Kawase se penche sur l’absence et le besoin de lumière. Film bienveillant et sans pesanteur, complément d’un cycle sur la sensation, Vers la lumière, sans tutoyer les sommets est résolument agréable et émouvant.
Texte à lire sur ScreenMania :
https://www.screenmania.fr/film-critique/vers-la-lumiere-naomi-kawase-2017
Il y a une gradation de l'abominable absolument fascinante dans Le Vénérable W. : du grotesque de ce personnage, égotique à l'absurde, jusqu'aux images montrées par Barbet Schroeder, aux limites de l'insoutenable. Ca n'est pas tant que le sujet est fantastique, c'est surtout les circonstances et l’apparence générale qui le sont : le calme de ce moine bouddhiste prêchant une haine systémique et rationnelle est stupéfiant. Mais évidemment, ça n'est qu'une façade, puisque l'on a bien vu le bonhomme s'égosiller ailleurs, comme un dictateur de pacotille. Dommage, peut-être, que le documentaire ait parfois des curieux airs télévisuels ; ailleurs, la caméra de Schroeder filme quelques atmosphères fabuleuses, comme ces travellings en voiture. Le côté brut du documentaire, finalement sans grand emballage, est d'une certaine manière sa grande force, démontrant des mécanismes du pouvoir et de la manipulation que l'on a que trop bien connus, et qui pourtant, se relèvent encore tout à fait fonctionnels.
Alors que la période contemporaine de Malick tend à cliver son public, j'apprécie toujours autant ses œuvres. J'attendais Voyage of Time de pied ferme, incarnation malickienne du documentaire transcendantal. Quelle perspective ! D'autant plus si remise en perspective d'une longue genèse, héritée du projet "Q" que Malick a longtemps entretenu. Étonnement, le résultat est plus intime, plus simple (sans pour autant être simpliste) que l'on ne pouvait l'anticiper. Très instinctif, ce parcours au travers de la création du monde permet à Malick, d'une certaine manière, de vulgariser - positivement - son style. Paradoxalement, l'expérience n'est peut être pas aussi prenante : quand bien même il y a de quoi être subjugué par bien des séquences, envoûté par la narration de Cate Blanchett, l'extase n'est pas totale (d'un point de vue très subjectif). Le dernier acte du film, notamment avec les premiers hommes, offre toutefois un moment bienvenu et inédit, une conclusion logique et très belle. Peut-être à revoir... ? Dommage que la séance unique soit une malédiction.
Scorsese conclut d'une manière fantastique une passionnante trilogie sur la foi et le doute comme beauté autant que vice humain, après les mésestimés La Dernière Tentation du Christ et Kundun. Scorsese applique par ailleurs brillamment les conseils de Truffaut, voulant que chaque nouveau film soit l'opposé du précédent. Il résiste ici aux sirènes du pompier qu'implique pareille fresque historique, en recentrant ses enjeux au plus près de ses personnages. En s'intéressant à l'apostasie, à la perception de la foi selon un prisme égotique et involontairement colonialiste, Scorsese détourne ce qui pourrait sombrer dans la naïveté ou même la redite de l'épopée christique. L'épure dont il fait preuve, évidemment relative par rapport à son style, est, au sens propre du terme, sidérante. Avec intelligence, Scorsese ne se contente pas de faire un film d'ambiance sur un Japon inconnu ; c'est l'absence, c'est le silence du divin qui est l'ambiance, partagée avec les personnages d'Andrew Garfield et Adam Driver. Chaque chapitre apporte une langueur, qui, couplée à la répétition, transcende leurs interrogations, leurs doutes. Le dernier acte balaie enfin toute méprise que l'on aurait pu avoir sur les intentions et positionnements de Scorsese, se gardant bien de tout jugement, invitant surtout le spectateur à questionner la quête dont il a été témoin. Une expérience puissante.
RESSORTIES - AU CINÉMA
Malgré mon affection pour Philippe de Broca, je ne m'attendais pas à trouver dans Le Roi de Coeur un grand film. Qu'étais-je dans l'erreur ! Poursuivant sa quête d'évasion du réel, De Broca y trouve ici son sommet aux côtés du Magnifique. Mais, au-delà d'un guignol désuet et hilarant, les thèmes sont graves et bouleversants - d'autant, si remis dans le contexte de sortie. Toute la mélancolie qui se dégage du film donne une étrange amertume à toutes les touches d'humour, et ce d'une manière si singulière et inimitable que l'émotion naît naturellement. Il y a une tendresse infinie dans la vision des personnages, certes grotesques, mais finalement vivants et pas moins fous que le reste du extérieur qui s'entretue dans la Grande Guerre. Il faut impérativement saluer le casting cinq étoiles : Alan Bates, évidemment, mais aussi Geneviève Bujold, dont on tombe amoureux à chaque apparition, Michel Serrault ou encore Jean-Claude Brialy qui, avec le mot de la fin, a de quoi parfaitement conclure ce magnifique film, au son de la musique de Georges Delerue et des images de Pierre Lhomme. Un film venu d'ailleurs !
EN VIDÉO
Toujours au travers d’un regard social contemporain, Akira Kurosawa s’attaque cette fois-ci à un dilemme moral sur fond d’éthique et de lutte des classes. Entre le Ciel et l’Enfer joue une fois de plus de son registre (ici, un film d’enquête) pour analyser tout un système de fond en comble. Ce qui fait la richesse absolue du métrage, c’est son sens constant de la nuance, du détail, du refus systématique de tout manichéisme dramaturgique ou sociétal. C’est justement cette modestie de Kurosawa, qui, quelque part entre Ciel et Enfer, ne condamne pas, mais expose et interroge.
Texte à lire sur ScreenMania :
https://www.screenmania.fr/film-critique/entre-le-ciel-et-lenfer-akira-kurosawa-1963
Les Salauds dorment en paix, d'Akira Kurosawa (1960)
Il faut croire que les fantômes
n’auront jamais fini de hanter le Japon. Les conflits et ambiguïtés de
la modernité du pays, traduits par Akira Kurosawa, sont troublants
autant qu’exemplaires. Les Salauds dorment en paix dissèque une société
verticale, puissante, inflexible, dont les fondations ont pourtant été
rongées par la corruption et le déshonneur. Alternative à Hamlet
défaite des touches d’humour ou des échos épiques de Shakespeare, le
film de Kurosawa est une nuance de sombre absolu, comme rarement l’on en
trouve, bien que nombreuses soient les tragédies socio-politiques qui
aimeraient s’en réclamer.
Texte à lire sur ScreenMania :
A la question "c'est quoi, la modernité cinématographique ?", si Antonioni est la réponse de mise, Arthur Penn ne vaut guère moins. Le Gaucher s'inscrit avec brio un courant qu'il y aura notamment, bien plus tard, dans les westerns du Nouvel Hollywood, de relecture baroque et déconstruction des grands mythes de l'Ouest (Peckinpah et son Pat Garrett & Billy le Kid, Huston et son Juge et hors-la-loi...). Paul Newman est une fois de plus brillante dans la synthèse d'une jeunesse bienveillante mais en dérive, à l'instar de son camarade James Dean ou lui-même dans Le plus sauvage d'entre tous. C'est un cinéma fougueux, plein de rage mais aussi de tendresse, celle qu'a Penn pour son personnage principal et ses mésaventures, aussi celle qu'il a pour quelques beaux personnages secondaires, qui tissent une peinture de l'Ouest complexe et touchante. Constamment moderne et audacieux dans ses choix de mise en scène sans être tape-à-l'oeil, Penn s'aligne sur la liberté offerte par ses personnages, justement loin des diktats de la société qu'ils combattent. Brillant.
Le cinématographe en roue libre peut-il être, en quelques sorte, un bel idéal ? C'est sensiblement la question que pose Tsui Hark dans Time and Tide, film ébouriffant dans tous les sens du terme. La recherche visuelle de Tsui Hark est absolument sans limites, pas même celles que pourraient lui imposer son récit, ici malléable à souhaits entre les différents tons (action, comédie, drame) et les points de vue. Bien que l'on soit rapidement largué dans cette histoire simple qui a vite fait de paraître obscure alors qu'elle file à toute berzingue, on ne manque pas de s'extasier devant la générosité d'un réalisateur qui peut enfin exprimer librement ce qu'il avait dû calmer pendant quelques années à Hollywood (encore que...). Tsui Hark capte aussi avec intelligence la métamorphose hong-kongaise, balançant alors entre deux ères. Sa manière de prendre la température de la cité demeure brillante - à l'instar de ce que fera quelques temps plus tard Johnny To dans PTU. Reste maintenant à s'aligner sur les pulsations stylistiques du réalisateur, ce qui n'est pas toujours évident devant une pareille déconstruction de la grammaire visuelle, à l'instar de ce qu'il a fait plus tard dans son remake de l'Auberge du Dragon. Film définitivement à revoir, pour en apprécier pleinement toutes les facettes.
Revisionnage.
A tort, on déprécie souvent le travail des meilleurs films de Tony Scott devant celui de ses scénaristes, comme Quentin Tarantino pour True Romance ou ici Shane Black pour Le Dernier Samaritain. Pourtant, nulle doute que les films sont bels et bien transcendés par un auteur qui a su ses les approprier. Au-delà de l'actioner culte, Tony Scott réfléchit sur la décadence américaine des années 90 et résultante de celle des années 80. Son sens du spectacle devient méta et satirique, le complétant par ailleurs plus tard dans Le Fan, avec une approche très similaire. Filmant une société en train de complètement flétrir, Scott poursuit aussi sa voie d'immense formaliste, reprenant les visuels de ville enfumées façon néo-noir, évidemment pas si lointains de Blade Runner. L'âme du buddy-movie coexiste alors avec un film plus politique qu'il n'en a l'air, critique dans sa représentation des déviances d'un système obèse et dégénéré, bouffé par le corporatisme et abruti par le spectacle populaire... et ce, jusqu'aux héros. Génial.
Impossible de ne pas penser au fait que Mort à l'arrivée pourrait être excellemment (encore) remaké. Avec son pitch parfait de série B (un homme empoisonné n'a plus que 48 heures pour retrouver son meurtrier), rien n'est superflu dans le développement du récit. Il est en revanche bien dommage que le dénouement et l'explication de l'affaire soient largement décevants, quand Rudolph Maté, habile faiseur, a su tenir le reste avec une efficacité plus que louable. A noter une très agréable musique de Dimitri Tiomkin, relevant l'ambiance du film. Plus curieux : la lourdeur néanmoins hilarante des sifflets dès que le héros croise une belle femme dans la première partie du film. Qu'est-ce que le monteur son avait en tête ?
Film oublié, autant comme film de guerre que comme œuvre de Sidney Pollack, Un Château en Enfer est une curiosité résolument digne du (co)réalisateur du Plongeon. Avec un pitch évoquant un film traditionnel de son genre, avec défense de forteresse en prime, Pollack se détourne habilement de la voie du cinéma classique et épouse la si chérie liberté narrative du Nouvel Hollywood. Sans être un énième pensum sur l'absurdité de la guerre, Pollack trouve surtout le sujet de l'écrasement américain, de l'inculture comme annihilation suprême, de la destruction comme finalité universelle. Avec ses personnages paumés (dont Peter Falk, génial) orbitant autour du pas moins déconnecté Burt Lancaster, le récit façonne une bulle tragiquement éphémère au sein de la guerre. Finalement indescriptible à sa juste valeur, le film gagnerait à être connu, offrant par ailleurs une musique de Michel Legrand et une photgraphie d 'Henri Decaë, ce qui n'est jamais de refus.
Le Soldat Laforêt, de Guy Cavagnac (1972)
On ne peut certainement pas faire davantage "dans son temps" que Le Soldat Laforêt, quand bien même l'histoire se déroule durant la Seconde Guerre mondiale. Absolu du film d'évasion, dans tous les sens du terme, de la jeunesse chevelue soixante-huitarde, le récit de Guy Cavagnac est néanmoins encore universel : fuir l'absurde de la guerre et retrouver le concret d'un bonheur simple. En se perdant dans les beaux paysages de l'Aveyron, le soldat Laforêt fait s'enivrer le spectateur d'un parfum en dehors de tout formatage absolument délicieux. Le concept a néanmoins ses limites, car passé la curiosité découverte, le métrage redevient une sorte d'objet générationnel un peu désuet, quand bien même on aimerait toujours être saisi par cet esprit de liberté, jusqu'à la fin, percutante, confirmant l'impression d'un rêve éveillé.
Les documentaires "d'aventure" muets ont ceci d'extraordinaire que bien souvent, il s'agit de la première fois que les sujets en questions sont capturés par le cinématographe. Ceci m'avait totalement bouleversé dans L’Épopée de L'Everest, sorti par ailleurs la même année. Dans L’Éternel silence, nous (et le "nous" a son importance dans le film restitue à merveille son périple) nous embarquons pour le pôle Sud, dans une course qui relève autant de l'absurde, par désir de gloire humaine, que d'avancée scientifique. Filmées directement sur le terrain par Herbert Pointing, ou alors reconstituées d'après les notes du capitaine de l'expédition, les séquences alternent vie de l'équipage, exploration, lutte contre le grand froid, rencontre avec les pingouins... Quand bien même, par besoin technique, Poiting utilise des photographies dans son montage, aucun clivage ne se crée avec l'immersion. Les filtres photochimiques utilisées confèrent d'ailleurs autant une impression de réalisme qu'une sensation de fantasmagorie, dans ces couleurs jaunes ou cyans pétantes. Escalade inéluctable vers une issue tragique, le documentaire est autant témoignage qu'hommage... ou peut-être mise en garde, comme si la caméra avait réussi à saisir ce qui, alors, était la limite de l'homme. Un territoire interdit.
Les Fous du roi, de Robert Rossen (1949)
Le scénario des Fous du roi est encore crevant d'actualité - j'écris ces lignes à deux jours des présidentielles. Plutôt que de s'intéresser simplement à la dénonciation de la corruption, l'adaptation de Robert Rossen creuse le sentier moral qui y conduit, à base de compromis, d'alliances, de pressions pour un meilleur futur commun. Le manichéisme, évident dans la toute première partie de l'histoire, est par la suite progressivement déconstruit, enfin sciemment reconstruit. Il est peut-être dommage que Robert Rossen, comme réalisateur, ne soit jamais à la hauteur de son écriture, s'en tenant à un conventionnel certes efficace, mais manquant de la passion, de l'ampleur, de la tragédie qu'auraient apporté un John Ford ou un Billy Wylder. Le prix du changement et de futur, enjeu central du film, se prêterait certainement à une nouvelle adaptation contemporaine, idéalement plus inspirée que celle de Steven Zaillian.
Sans que je sois véritablement fan des kitcheries de Richard Thorpe, j'apprécie l'esprit général de ses films, comme Ivanhoé. Hélas, Les Chevaliers de la table ronde, embrassant le grand mythe d'Arthur et d'Excalibur, peine avec son statut de fresque historique au rabais. La recette est la même que pour sa précédente fresque : récit bon enfant, couleur du technicolor trichrome tartinées sur l'écran scope, et le flambant Robert Taylor jouant le preux beau gosse Lancelot, arborant les armes de Richard Cœur de Lion (?). L'ensemble du film est tellement sur des rails que certes, s'il n'y a pas lieu de réellement s'ennuyer pour peu que l'on soit preneur du genre, on est aussi déçu par le relatif manque d'ambition. La réalisation de Thorpe est certainement l'une de ses moins inspirées, quel dommage ! La quête du Graal est évacuée au profit d'intrigues internes à la Table Ronde, entre Arthur et Mordred, mais la faible teneur des personnages ne rendent pas les enjeux palpitants. Point positif notable, tout de même : la musique de Miklós Rózsa, dont on reconnaît d'ores et déjà certaines structures mélodiques qu'il reprendra plus tard dans le grandiose Le Cid d'Anthony Mann.
Une Étoile est née, de George Cukor (1954)
Ce qui transcende Une Etoile est née, version George Cukor, c'est finalement à quel point il se détache de la comédie musicale en s'orientant vers un grand mélo presque sirkien, amer sur Hollywood et le rêve américain. Le grand retour de Judy Garland se fait sous la marque de la mélancolie au sein d'une époque de transition, celle où les vieilles légendes s'effacent. Derrière la grande chanteuse, James Mason s'impose aussi comme, encore une fois, un grand acteur que l'on ne reconnaît jamais assez. Avant l'approche plus superficielle et peut-être plus agaçant de My Fair Lady, Cukor élabore une mise en scène certes virtuose, colorée, puissante, mais aussi capable d'une discrétion bienveillante et touchante, comme dans la fameuse scène du cabaret (qui n'aura pas moins demandé à Garland près de quarante prises). Non seulement il y a la performance, transcendante, mais plus encore, les personnages existent, la tragédie est humaine et bouleversante, jusqu'à la fin, sublime requiem, ou presque, d'Hollywood classique. Autre chose que le très mauvais et très superficiel La La Land (bim) !
L'Homme de nulle part, de Delmer Daves (1956)
N'ayant peut-être pas la grandeur chefdoeuvresque de 3h10 pour Yuma, La Dernière caravane ou La colline des potences, L'Homme de nulle part demeure néanmoins une belle fable morale tout à l'honneur de Delmer Daves. L’ambiguïté des personnages forts de Daves est toujours extrêmement prenantes, notamment dans les conflits générés, sombres et à l'issue incertaine. Le très beau casting y contribue : Glenn Ford, Ernest Borgnine, Charles Bronson, Rod Steiger... La droiture morale et le rachat du péché est une fois de plus au centre de l'intrigue, mais l'alchimie inédite des personnages perfectionne les enjeux. Chez Daves, la frontière entre Bien et Mal se déplace, est floue, ce qui est toujours passionnant dans le western et parfaitement maîtrisé chez cet auteur-ci.
Revisionnage.
Vus bien plus jeune, je n'avais jamais été particulièrement touché par les films de Jacques Demy, en tout cas ses collaborations avec Catherine Deneuve. Le revisionnage des Parapluies de Cherbourg m'a bouleversé. Non seulement, car on y trouve un grand film musical, bonifié par le génie Michel Legrand, mais plus encore car la romance prend tout son sens dans la dureté de son contexte. Loin d'être innocent, le film de Demy parle aussi de la guerre d'Algérie et d'une génération regorgeant d'amour mais qui se cherche. Demy écrit si bien ses textes, bien que chantés, qu'ils conservent toute la dimension et toute la gravité du réel - parfois dans de simples répliques anodines, voire délibérément simplettes.La magnificence d'une romance dont les personnages ont des trajectoires qui, fatidiquement, se croisent en des points de non-retour, est absolument saisissante lorsque captée avec un tel éclat cinématographique. Quelle ampleur du drame ! C'est à l'image de la scène des adieux à la gare, à certains égards d'un pompeux remarquable, mais si beau, si intense, si passionné devant ou derrière la caméra qu'il ne peut laisser indifférent.
La Falaise mystérieuse, de Lewis Allen (1944)
Beau film d'atmosphère, La Falaise mystérieuse pourrait passer comme une série B convenue accumulant les clichés du genre, mais il faut reconsidérer le contexte : c'est davantage ce film qui a inspiré aux autres les leitmotiv du film de maison hantée. La direction artistique est admirable, quand bien même on est finalement loin du faste d'un décor gothique. Pourtant, le charme opère, dans cette bourgade coupée du monde, au bord d'une falaise, avec sa belle maison un peu trop banale pour être rassurante. L'évolution du scénario est peut-être sans grande surprise mais offre quelques agréables moments de tension. Dommage, peut-être, que la révélation finale soit un brin convenue, mais c'est aussi le revers de la médaille d'un film matriciel.
Si cette adaptation de Knock par Guy LeFranc commence avec quelques répliques bien truculentes, que l'on doit évidemment à la pièce, il faut tout de même avouer que l'ensemble est d'une paresse relative. Aux abonnées absentes, la mise en scène accomplit le miracle de rendre l'histoire laborieuse, et somme toute très convenue passée quelques moments bien sentis, grâce à Louis Jouvet. Il y a bien à tirer de cette adaptation, vite oubliée et à raison. Sans être un ratage absolu, les raisons de cet échec sont absolument incompréhensibles tant tous les ingrédients sont pourtant là.
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