
Scénariste : Jason Hall
D'après : "American Sniper", de Chris Kyle, Scott McEwen, Jim DeFelice
Avec : Bradley Cooper, Sienna Miller
Directeur de la photographie : Tom Stern
Compositeurs : Clint Eastwood et Joseph S. DeBeasi
Monteurs : Joel Cox et Gary Roach
Genre : Guerre
Nationalité : États-Unis
Durée : 2h12
Date de sortie : 2014 (Etats-Unis) / 2015 (France)
Synopsis : Tireur d'élite des Navy SEAL, Chris Kyle est envoyé en Irak dans un seul
but : protéger ses camarades. Sa précision chirurgicale sauve
d'innombrables vies humaines sur le champ de bataille et, tandis que les
récits de ses exploits se multiplient, il décroche le surnom de "La
Légende". Cependant, sa réputation se propage au-delà des lignes
ennemies, si bien que sa tête est mise à prix et qu'il devient une cible
privilégiée des insurgés. Malgré le danger, et l'angoisse dans laquelle
vit sa famille, Chris participe à quatre batailles décisives parmi les
plus terribles de la guerre en Irak, s'imposant ainsi comme
l'incarnation vivante de la devise des SEAL : "Pas de quartier !" Mais
en rentrant au pays, Chris prend conscience qu'il ne parvient pas à
retrouver une vie normale.
"LA MORT EST MON METIER"
« N’importe quel tocard croit savoir ce qu’est la
guerre. Surtout ceux qui ne l’ont jamais faite. On aime les choses
simples : bien et mal, héros et méchants. Il y a toujours beaucoup des
deux. En général, ils ne sont pas ceux qu’on croit ». Sur ses mots, Clint Eastwood
introduisait Mémoires de nos Pères et affichait déjà clairement sa position
sur le sujet. Près de dix ans plus tard, l’homme de Malpaso rembraye de nouveau
sur la thématique en inscrivant son nouveau film, American Sniper, dans une
longue saga d’œuvres d’introspection et de remise en cause de la société
américaine. Bientôt 85 ans et pourtant l’ancien interprète de Harry Calahan rentre de nouveau dans le groupe sélect des grands auteurs qui font la
polémique. Ou peut-être, plus simplement, des auteurs qui ne sont plus compris.

Car ne nous méprenons pas : American Sniper n’est autre que l’histoire, aussi fascinante que dérangeante, du soldat le plus intègre des Etats-Unis. D’emblée, Clint Eastwood cultive la caractérisation d’un personnage passionnant aux valeurs simples et égarées dans un contexte complexe. Comme le personnage de Hoover qu’Eastwood peignait dans J. Edgar. A la question « pourquoi se battre pour les Etats-Unis ? », Chris Kyle répond naïvement, mais le plus sincèrement possible « parce que c’est le plus grand pays du monde ». Supérieure en tout point à de vulgaires conceptions politiques, c’est la valeur morale du sniper qui fascine Eastwood, ne lui portant aucun jugement méprisant, trahissant même l’élégant regard tendre que, cinéaste du mélodrame, il aime entretenir sur ses personnages. Pourtant, Eastwood sait bien que l’intégrité est autant une valeur qu’une faiblesse. Si déjà, dans Le Maître de Guerre (très souvent oublié, bien que très imparfait, lorsque l’on parle du cinéma de guerre eastwoodien), le réalisateur mettait en scène le formatage humain et la création de la machine à tuer, l’écho est tout trouvé dans American Sniper.

Eastwood resserre également l’histoire de Chris Kyle autour de ses thématiques
fétiches, celle de la famille mais aussi celle de la communauté, comme se le
doit tout grand héritier de l’Americana, succédant évidemment à Michael Cimino
(pour qui Eastwood avait produit le premier film, par ailleurs) et à son Voyage au bout de l’Enfer. Car si le personnage de Robert
DeNiro allait délibérément pleurer son trauma seul dans un motel, son reflet du
futur qu’est Chris Kyle se retrouve tout aussi esseulé, au pays, devant sa bière. Vision traumatique d’un guerrier perdu, coincé entre la désintégration
de la cellule familiale et la tentative d’acceptation d’une communauté dans
laquelle il a du mal à se reconnaître. Communauté qui sera par ailleurs sa
perte, comme si Kyle était finalement condamné à trépasser des mains de son propre
reflet brisé et déformant, de toute cette violence qu’il a ramené avec lui,
empaquetée plus ou moins à la va-vite au fond de son égo, pouvant imploser à
tout moment (la scène du chien est édifiante à ce sujet).

On cherche encore la
propagande ou la glorification. Où se trouve-t-elle dans les ternes images
photographiées par le fidèle Tom Stern ? On l’ignore. Où se trouve-t-elle
dans le montage haché et sec de Joel Cox ? Idem. Pourtant ce sont parmi
les mêmes collaborateurs que Clint Eastwood embarquait dans son diptyque du Pacifique,
cette équipe au regard cinématographique sans équivoque qui est loin d’avoir
retourné sa veste sur le sujet au cours de ces dix dernières années. Reste une
chose qui s’impose au sein de tout ceci : à travers sa classique et
élégante sobriété, Eastwood trouve toujours le moyen de s’affirmer, avec plus
de quatre décennies de métier derrière lui, comme un réalisateur dont les clés
de la modernité échappent encore à beaucoup. Rigueur de cinéaste du classicisme
oblige, chaque plan est pensé dans le découpage d’Eastwood, signant avec
précision une des réalisations les plus terrassantes de ces dernières années.

Et si le miroir se retrouve dans le camp d’en face, on l’a aussi à domicile,
dans la transmission de génération en génération. De la même manière que le
père de Kyle, génération du Viêtnam, la génération du Robert DeNiro dans le
film de Cimino, forme son fils aux armes, Kyle lui-même transmet cet héritage. Un
mal-être transmis d’une génération à l’autre, un besoin maladif qui se cherche
des valeurs à défendre, y a-t-il plus sordide ? Besoin maladif au point de
vouloir continuer à tirer pour se sentir « repousser
ses couilles » même lorsqu’on y a déjà laissé deux jambes, comme l'illustre un vétéran. Et
pourtant. Et pourtant il est toujours question d’un film propagandiste. Jusqu’au
générique de fin, Eastwood défend l’ambiance malsaine de son film. Générique
qui sera encore interprété de travers, comme une vulgaire concession à la
gloire militariste, alors que c’est peut-être la scène la plus glauque du film,
où nos pieds reviennent sur Terre, ancrés dans le réel, devant ces images dont
l’absurdité est relevée par la réinterprétation du chant aux morts d’Ennio
Morricone, la même funeste absurdité que mettait en scène, avec ce même
compositeur, Sergio Leone dans Le Bon, la Brute et le Truand.

Il y a bientôt quinze
ans, La
Chute du Faucon Noir souffrait de l’incompréhension de son fond face à
un public qui n’y voyait qu’une production unilatérale de Jerry Bruckeimer. Les
traces dans lesquelles marcher pour le film d’Eastwood sont après tout toutes
trouvées… Fort de son deuxième film majeur mais incompris de l’année (après Jersey
Boys, dont la portée testamentaire et autobiographique semble avoir
échappée à beaucoup), le père Clint délivre un film que le public ne mérite pas,
aussi triste cela soit-il à dire. Qu’à cela ne tienne, tant pis… Il y avait
déjà, en 1978, des faquins, comme dirait l'autre, pour trouver que Michael Cimino était un fasciste.
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