Scénaristes : Jon Spaith, Damon Lindelof
Avec : Noomi Rapace, Michael Fassbender, Charlize Theron
Directeur de la photographie : Dariusz Wolski
Compositeurs : Marc Streitenfeld, Harry Gregson-Williams
Monteur : Pietro Scalia
Genre : Science-fiction
Nationalité : États-Unis, Royaume-Uni
Durée : 2h04
"DAVID RÊVE-T-IL DE MOUTONS ÉLECTRIQUES ?"
Dès l'ouverture, il n'y a pas de long plan panoramique sur l'espace transcendé par l'inquiétante et fantomatique musique de Jerry Goldsmith, il n'y a pas de vaisseau-château-hanté à la dérive, pas plus de bourdonnement étouffant... Prometheus n'est pas Alien : le huitième passager, ni une de ses suites. La comparaison est peut-être aplatie et trop évidente, mais il n'en reste pas moins bon de le rappeler quant à un film mal reçu, surtout mal interprété. Œuvre majeure mais complexe de la période contemporaine de Ridley Scott, il dessine une fois de plus le clivage qui règne entre le sir britannique et son public depuis l'échec de Blade Runner, entre temps trop peu ponctué par quelques (mais rares) succès tantôt commerciaux, tantôt juste d'estime. Comme d'autres, Ridley Scott est un cinéaste désormais en décalage avec son temps et son spectateur, et bien que film de science-fiction, genre revenu en grâce après Avatar, cette alternative à l'univers autrefois créé par Dan O'Bannon et Ronald Shusett ne pouvait souffrir que d'incompréhension.
Ici, dès l'ouverture, Scott préfère convoquer Kubrick dans la découverte d'une planète - la nôtre, alors que la musique de Marc Streitenfeld, énigmatique sans être oppressante, avec une touche de majesté, invite à la découverte. Et c'est là où se façonne déjà Prometheus, où il devient programmatique sur ce qui va être central dans son récit : mythologie et exploration. Et c'est aussi là où l'ADN du film diverge de la saga originelle, bien que les racines soient les mêmes. Si l'approche mythologique d'Alien se traduisait par une sorte de cauchemar psychanalytique (un viol dans une forteresse délabrée), si l'exploration se résumait à l'incompréhension des "camionneurs de l'espace" face au Nostromo et à la silhouette funeste du fameux Space Jokey, Prometheus l'aborde alors d'un œil différent. Sans nécessairement avoir à démystifier son parent, presque à la manière de 2010 : L'Année du premier contact, il explore et s'interroge sur son propre univers avec un regard devenu plus raffiné, tout en prenant soin de ne pas délivrer toutes les réponses (ce qui lui aura d'ailleurs été dûment reproché). Et pour mieux percevoir pourquoi ça n'est pas qu'un simple miroir déformant d'Alien, il faut sans doute se tourner vers ses personnages, qui peut-être illuminent mieux les volontés de son auteur.
En plaçant Elizabeth Shaw (la raffinée Noomi Rapace) au centre de son récit, qui en dépit de son statut de personnage féminin fort (récurrence chez Ridley Scott) ne partage pas grand chose avec Ellen Ripley, Scott est aussi explicite sur ses enjeux personnels : la croyance, sujet malgré tout fort chez l'auteur agnostique. Thème qui évidemment recoupe l'approche mythologique du film. Shaw s'apparente alors peut-être davantage à l'exploratrice qu'est Jodie Foster dans Contact de Robert Zemeckis : Prometheus est un film où l'on "choisit de croire". Parallèlement à cette interprétation de la croyance à l'aube du XXIIème siècle, on peut aussi confronter celle qu'exploite plus tard Scott dans l'Antiquité d'Exodus : Gods and Kings. Mais c'est aussi un film où l'on choisit d'être, comme David (Michael Fassbender, ici au paroxysme de son incroyable magnétisme). Le nouvel "homme de synthèse" [1] ne ressemble véritablement à aucun des précédents, sans doute encore moins à l'inquiétant et dysfonctionnel Ash. En revanche, il faut sûrement établir une parenté avec un certain Roy Batty, le répliquant de Blade Runner, elle-même assez révélatrice. Les deux androïdes, aryens de surcroît, sont en quête d'humanité et d'émancipation. David est un être complexe, mais avec Shaw il est sûrement le reflet le plus exact du film, se pavanant d'ailleurs en citant Peter O'Toole dans Lawrence d'Arabie, un détail qui ne peut pas être fortuit ou gratuit quand on connaît la place qu'occupe David Lean chez Scott. C'est là peut-être l'un des plus grands centres d'intérêt du film, cet ambigu personnage aux questionnements infinis dans sa quête d'imperfection humaine, le seul qui, d'ailleurs, articule autant la mise en scène autour de lui, dans un malin jeu de centrage et d'excentrage dans les cadres par rapport aux autres protagonistes humains.
Et comme il n'y a pas de création sans créateur, Prometheus prend un malin plaisir à confronter les uns avec les autres, systématiquement déçus de leurs Dieux, de leurs géniteurs, de gens qui ont bassement créé "parce qu'ils le pouvaient" comme l'explique on-ne-peut-plus-naturellement Holloway à David (une des raisons du mépris de ce dernier pour le scientifique, devenant par la suite son propre rat de laboratoire). Mais eux-mêmes, créateurs, rejettent leur invention, affiliant alors assez explicitement le film de Ridley Scott au Frankenstein de Mary Shelley, autrement intitulé... Le Prométhée Moderne. Maintenant, qui serait, originellement, le fameux docteur ? Le vieux dégénéré qu'est Peter Weyland ? Peut-être un peu, mais pas tant que cela, lui qui justement renie sa création naturelle pour préférer la synthétique, et qui a sans doute encore plus à voir avec Tyrell de Blade Runner, directeur de la corporation éponyme [3]. Il faut sûrement se tourner vers ces fameux Ingénieurs, divins par leur stature d'antiques grecs, mais finalement tellement humains dans leur vanité, leur goût du pouvoir, de la guerre (LV-223 est avant tout un laboratoire d'armes de destruction massive pour la guerre bactériologique, thématique d'ailleurs d'actualité s'il en est)... et leur mortalité. C'est une morale nihiliste, à l'issue toujours funeste bien que "la vie trouve toujours son chemin" pour citer un autre film traitant de création. Elle semble même être sans fin, condamnée à se répéter, comme d'autre part elle le fait ailleurs chez Ridley Scott (de Kingdom of Heaven à Mensonges d'Etat notamment), réalisateur systématiquement assez pessimiste dans sa description de l'humanité et de son système voué à l'échec, tant dans l'Histoire que dans les projections futures que permet la science-fiction.
Cette même science-fiction qui d'ailleurs, est le bastion idéal pour les expérimentations techniques de Ridley Scott, signant ici non seulement son premier film en numérique mais aussi en stéréoscopie (native, qui plus est, c'est à noter tant le geste devient quasiment rare à Hollywood). Soit dit en passant, cette parenthèse sur la forme technique n'est pas nécessairement gratuite : le changement de format va de paire avec les différences souhaitées par Ridley Scott. Prometheus enchaîne des citations picturales à la composition rarement égalée (entre autre cet incroyable plan large sur la tempête électro-magnétique qui convoque la palette de Gérôme), notamment permise par la technologie numérique et le contrôle de l'image, allant alors de paire avec le ton d'aventure plutôt épique observé par le film. D'ailleurs le "contrôle", c'est peut-être le terme qui qualifie le mieux la réalisation de Scott, ne laissant ici rien au hasard et millimètrant chaque mouvement de caméra ou chaque source lumineuse présente dans le cadre. Et comme le sujet impose cette rigueur autant que le travail en stéréoscopie, permettant de repenser la profondeur de champ ou le travail sur le décor (à noter la richesse du production design d'Arthur Max), Scott, en merveilleux architecte pictural, s'y retrouve pleinement, collaborant d'ailleurs avec Dariusz Wolski, lui-même autrefois directeur de la photographie chez Tony Scott. Au paroxysme de sa modernité, Ridley Scott parvient à faire la jonction quasiment idéale avec son passif.
Et comme il n'y a pas de création sans créateur, Prometheus prend un malin plaisir à confronter les uns avec les autres, systématiquement déçus de leurs Dieux, de leurs géniteurs, de gens qui ont bassement créé "parce qu'ils le pouvaient" comme l'explique on-ne-peut-plus-naturellement Holloway à David (une des raisons du mépris de ce dernier pour le scientifique, devenant par la suite son propre rat de laboratoire). Mais eux-mêmes, créateurs, rejettent leur invention, affiliant alors assez explicitement le film de Ridley Scott au Frankenstein de Mary Shelley, autrement intitulé... Le Prométhée Moderne. Maintenant, qui serait, originellement, le fameux docteur ? Le vieux dégénéré qu'est Peter Weyland ? Peut-être un peu, mais pas tant que cela, lui qui justement renie sa création naturelle pour préférer la synthétique, et qui a sans doute encore plus à voir avec Tyrell de Blade Runner, directeur de la corporation éponyme [3]. Il faut sûrement se tourner vers ces fameux Ingénieurs, divins par leur stature d'antiques grecs, mais finalement tellement humains dans leur vanité, leur goût du pouvoir, de la guerre (LV-223 est avant tout un laboratoire d'armes de destruction massive pour la guerre bactériologique, thématique d'ailleurs d'actualité s'il en est)... et leur mortalité. C'est une morale nihiliste, à l'issue toujours funeste bien que "la vie trouve toujours son chemin" pour citer un autre film traitant de création. Elle semble même être sans fin, condamnée à se répéter, comme d'autre part elle le fait ailleurs chez Ridley Scott (de Kingdom of Heaven à Mensonges d'Etat notamment), réalisateur systématiquement assez pessimiste dans sa description de l'humanité et de son système voué à l'échec, tant dans l'Histoire que dans les projections futures que permet la science-fiction.
Et c'est là où Prometheus prend la dimension d'un film synthétique, autant pour la filmographie de Ridley Scott que pour le genre en question. En reprenant discrètement l'héritage d'Alien (comme en témoigne, par exemple, l'unique et subtile citation musicale de Jerry Goldsmith lors du briefing), il parvient toutefois à lorgner davantage du côté de la mythologie de Blade Runner. Mais il est aussi, au passage, une réponse, ou tout du moins une alternative, à Avatar, qui lui-même pouvait se voir comme une suite fantasmée de l'adaptation de K. Dick (cf. le montage extended cut [3]). Mais c'est peut-être aussi son tort pour certains. Dans sa synthèse et sa quête de modernité, il se retrouve à mi-chemin entre les exigences d'un studio à la recherche d'un "préquel/reboot" commercial et un film d'auteur peut-être plus exigeant. Largement amputé au montage (en dépit du travail soigné et précis de Pietro Scalia) et sans version longue, Prometheus peine également parfois a avoir une réelle homogénéité dans son écriture. S'y côtoient alors des séquences, dialogues, ambiances passionnantes (fruits de la proche collaboration entre Ridley Scott et ses deux scénaristes) mais aussi d'autres errements ou facilités dans la forme du récit (jamais dans le fond) qui rappellent davantage la nature chimérique du projet en lui-même. Mais si c'est le scénariste Damon Lindelof qui a notamment été visé par les critiques, il ne faut pas nécessairement perdre de vue que le script original de Jon Spaith ("Alien : Engineers") peinait justement à proposer plus qu'un simple préquel. L'ambition, aussi maladroitement puisse-t-elle s'exprimer parfois, injectée dans la ré-écriture, davantage façonnée par une mythologie du mystère façon X-Files, fait peut-être finalement toute la différence et contribue à créer un univers qui s'émancipe. Par conséquent, une nouvelle saga regorgeant de potentiel.
Alors que Ridley Scott maintient depuis une allure de croisière qui force le respect, enchaînant des productions majeures, la mise en chantier de la suite de Prometheus (d'ailleurs récemment intitulée Alien : Paradise Lost, sans doute dans un soucis de commercialité vis-à-vis de la Fox) ouvre les perspectives les plus intéressantes qui soient. Signant ici un film important de son ère contemporaine, toutefois marqué par une réception largement en demi-teinte, il confirme sa position d'auteur assez unique en son genre à Hollywood, comme il l'a sûrement toujours été. Peut-être soumis à bien plus d'imperfections que ses nombreux illustres aînés dans la carrière de Ridley Scott, Prometheus se doit éventuellement d'être redécouvert, comme un certain nombre de films du réalisateur l'ont été avant une reconnaissance plus juste [4]. Aujourd'hui, Scott met de nouveau le cap vers l'espace dans Seul sur Mars (ma critique est à lire sur Filmosphere.com), qui peut également être perçu comme une forme de réponse positive à Prometheus, rendant le film d'autant plus intéressant, d'autant plus complémentaire et vital dans cette riche carrière de vieux maestro superactif.
Alors que Ridley Scott maintient depuis une allure de croisière qui force le respect, enchaînant des productions majeures, la mise en chantier de la suite de Prometheus (d'ailleurs récemment intitulée Alien : Paradise Lost, sans doute dans un soucis de commercialité vis-à-vis de la Fox) ouvre les perspectives les plus intéressantes qui soient. Signant ici un film important de son ère contemporaine, toutefois marqué par une réception largement en demi-teinte, il confirme sa position d'auteur assez unique en son genre à Hollywood, comme il l'a sûrement toujours été. Peut-être soumis à bien plus d'imperfections que ses nombreux illustres aînés dans la carrière de Ridley Scott, Prometheus se doit éventuellement d'être redécouvert, comme un certain nombre de films du réalisateur l'ont été avant une reconnaissance plus juste [4]. Aujourd'hui, Scott met de nouveau le cap vers l'espace dans Seul sur Mars (ma critique est à lire sur Filmosphere.com), qui peut également être perçu comme une forme de réponse positive à Prometheus, rendant le film d'autant plus intéressant, d'autant plus complémentaire et vital dans cette riche carrière de vieux maestro superactif.
[1] On en profitera tout de même pour noter que le choix du prénom, David, n'est peut-être pas anodin pour un androïde, succédant à Ash, Bishop et Call.
[2] D'ailleurs, ça n'est peut-être pas non plus un hasard si le bureau virtuel de Weyland ressemble étrangement à celui de Tyrell, marqué par ses colonnes et sa vue sur le paysage urbain baigné dans une lumière crépusculaire
http://i.imgur.com/ZEGLdoC.jpg
http://i.imgur.com/wAbM1Ji.jpg
[2] D'ailleurs, ça n'est peut-être pas non plus un hasard si le bureau virtuel de Weyland ressemble étrangement à celui de Tyrell, marqué par ses colonnes et sa vue sur le paysage urbain baigné dans une lumière crépusculaire
http://i.imgur.com/ZEGLdoC.jpg
http://i.imgur.com/wAbM1Ji.jpg
[3] La vision du futur d'Avatar, l'obsession de la conquête et de la colonisation rappellent les fameux "mondes extérieurs" dont il est régulièrement mention dans Blade Runner, où ont fui les terriens les plus nantis. Dans la version extended cut, toute l'ouverture du film se déroule dans une ville futuriste quasiment calquée sur le Los Angeles du film de Scott, marquée par les corporations industrielles qui communiquent d'un film à l'autre (Weyland-Yutani / Tyrell Corporation / RDA).
http://i.imgur.com/uGRY9gK.jpg
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[4] Dont Blade Runner, redécouvert par le grand public grâce à sa director's cut en vidéo, puis également Kingdom of Heaven.